01er octobre 1961-01er octobre 2023, 62 ans déjà : La griffe du Haut-Nkam

(Texte)

La subdivision de Bafang, actuelle département du Haut-Nkam est connue pour avoir toujours été un bastion du nationalisme, incarné par un homme,  Jean Mbouendé, entouré de compagnons fidèles dont les plus connus sont Nitcheu Paul, Tientcheu Pierre, Nitcheu Bernard, Wako François, Casimir Deumatcha, Djitick Emile, Ngueulou Joseph, Namaga Thomas, Mbueh Pouleu, Youmbi Raphael, Kwedeu Pierre, Djélé Dieudonné, Sintcheu Joseph, Kamga Michel, Tchuitcheu François, Djientcheu Victor, Engwapi Christophe pour ne citer que ceux-là, avec le soutien de quelques chefs traditionnels tels que Tientcheu Michel de Banka, Moungoué Michel de Babouantou et Datchoua Marcel de Banféko, sans oublier le soutien secret de quelques fonctionnaires affectés à Bafang à l’instar de Jacques Bidjocka, Moïse Moya et surtout Djoké Samuel, secrétaire permanent du comité central de Bafang, coopté par le comité directeur de l’upc,  disparu à jamais lors des évènements du 29 mai 1955.

L’objectif des nationalistes est d’obtenir,  l’indépendance du Cameroun, la réunification  et l’élévation du standard de vie des Camerounais

Un homme viendra donner les priorités à ces revendications en exigeant d’abord la réunification du Cameroun pour réparer la division du Kamerun par la colonisation allemande, c’était Ruben Um Nyobé. Ceux à qui la Société des Nations a confié le pays (France et Angleterre) ne voulaient pas de cet objectif pour continuer à  piller le Cameroun.

Jean Mbouendé va commencer le combat en 1934 en conduisant la vulgarisation de la caféier-culture,  source de richesse dont l’accès était interdit aux indigènes.

Ce combat prendra forme en 1946 par la création du premier mouvement syndical en pays bamiléké par Jean Mbouendé, le Spp(Syndicat des Petits Planteurs).  Il était affilié à l’Uscc( Union des syndicats Confédérés du Cameroun), qui à son tour était affilié à la Cgt( Confédération Générale de Travail) à Paris et à la Fsm( Fédération Syndicale Mondiale).

La ténacité de Jean Mbouendé dans ce combat non violent mais d’une violence argumentaire déconcertante ne va pas tarder à amener le pouvoir colonial à l’enfermer injustement à la prison centrale de Bafang pour presque 08 mois à partir du 01er Septembre 1947. Cela lui vaudra la perte d’un cheptel de 1 000 bœufs.

Dès sa libération,  il installe dans sa concession à Banka, le premier comité central de l’upc en juin 1948 immédiatement après la légalisation du parti. Il faut noter que dans le cadre des activités syndicales  c’est Jean Mbouendé qui introduit Um Nyobé en pays bamiléké.

Lupc est ainsi créée le 10 avril 1948, est légalisée en juin 1948 et Um Nyobé devient Secrétaire Général en novembre 1948 en remplacement de Bouli Léonard. Le premier voyage de Ruben Um Nyobé aux Nations Unies est financé par les souscriptions. Deux personnes sont en tête,  Jean Mbouendé qui donne pour la subdivision de Bafang 4 000 000 et Kit Guillaume, installé à Mbalmayo, 1 000 000.

C’est à New-York que le  Mpodol pose le problème de la réunification.

Et lors de son dernier voyage là-bas en 1954, il réussit à obtenir une visite de la mission des Nations Unies au Cameroun courant 1955. Cela n’est pas du goût de la France qui organise les évènements de mai 1955 pour empêcher la venue de cette mission.

Les tueries sont énormes.

Toute la concession de Jean Mbouendé est réduite en cendres à Banka.

Il ne doit la vie sauve qu’en se réfugiant dans ses exploitations agricoles à Kékem où il réussit à se creuser un lit à l’intérieur d’un baobab où il va rester pendant 05 ans. Ses autres compagnons prennent la route de l’exil en passant par le Cameroun anglais. 

Ici  ils trouvent Ndeh Ntumazah qui crée le One Cameroun comme creuset d’expression pour les upecistes dont le parti a été interdit. Avec le KNDP de John Ngu Fontcha crée en 1955, ils vont commencer à poser les bases de la réunification du Cameroun.

Du côté français, les activités de l’Upc continuent à travers le BNKCPA(Bureau National Kamerounais du Congrès des Peuples Africains). C’est par ce biais que les souscriptions sont faites et acheminées à Kumba à Moumié pour financer les activités du parti, les pétitions à l’Onu également.

Jean Mbouendé est allé à pieds à Kumba à deux reprises dans ce sens jusqu’à l’avènement du terrorisme  en 1956 avec des agents infiltrés dans le parti pour le saborder en perpétrant les exactions spectaculaires  pour salir le nationalisme

En 1959, les détracteurs de Jean Mbouendé qui n’arrivaient pas à indiquer son abri au pouvoir colonial qui le recherchait mort ou vif, vont justifier leur bifteck en alléguant que chaque fois qu’on réussit à identifier le nationaliste,  il se transforme en plants de café.  L’armée coloniale va donc venir abattre 11 000 plants de café âgés  de 08 ans et en pleine production croyant ainsi anéantir mystiquement  Jean Mbouendé. Mais en vain.

Profitant de la loi d’amnistie générale et inconditionnelle proclamée par Ahmadou Ahidjo après l’indépendance du Cameroun,  le combattant aux mains nues va quitter le maquis pour rallier la vie normale en mai 1960.  Il sera reçu par le Président Ahidjo le 01er juin 1960 à la demande du chef de l’État, ayant suivi la nouvelle  du retour du nationaliste.  .Celui-ci va lui confier la tâche de pacification du département du Haut-Nkam.

Par son entregent exceptionnel,  il réussira là où les armes de la soldatesque coloniale ont échoué.

Viendra le tour de Fontcha qui va solliciter Jean Mbouendé pour la campagne du plébiscite.

RÉUNIFICATION DU CAMEROUN

Jean Mbouendé est ainsi saisi pour coordonner la campagne de collecte des fonds dans la subdivision de Bafang pou la réalisation de ce noble objectif.

L’organisation est donc montée par l’autorité et le nationaliste est secondé par Weladji Laurent pour cette opération.

Les carnets de reçus sont mis à disposition pour enregistrer les contributions pour cette cause et la caravane  va sillonner tous les villages de l’actuel département du Haut-Nkam.

Jean Mbouendé  recrute les jeunes pour l’aider à remplir les carnets.

Bilan de la campagne: Fcfa 500 000 remis à Fontcha à Loum le  19 décembre 1960 et Fcfa 200 000 remis à son représentant, l’honorable Sam Mofor à Bafang les 22 et 29 janvier 1961.

À la fin, Jean Mbouendé va récompenser en numéraire les jeunes qui l’ont aidé dans cette campagne, parmi lesquelles Tchuileu Ngouadjié Benoit Le Bourgeois à l’époque locataire chez Jean Mbouendé et enseignant au collège Saint-Paul de Banka.

Il va refuser poliment l’offre financière du nationaliste et lui dira qu’il a travaillé pour aider son papa et son pays et qu’il n’avait qu’un seul vœu: se construire.

Cette attitude va toucher Jean Mbouendé qui a commencé à porter un regard plus attentionné sur lui et au bout de quelques semaines, il va lui CÉDER GRATUITEMENT une parcelle de 371m2 à l’entrée principale de son domaine à Banka, près de son monument actuel, en cours de revalorisation après une bavure.

Pas étonnant d’avoir compté plus tard le jeune Benoît Le BOURGEOIS parmi les hommes d’affaires les plus prospères du Cameroun à la tête des entreprises comme MANU-OUEST, FABUREAU, CAMBROSS, COTRACOMEX pour ne citer que celles-ci.

Moralité :

L’amour pour son pays est aussi une source de bénédiction !

Pas étonnant aussi que les populations sollicitent Jean Mbouendé pour conduire la commune de plein exercice de Bafang lors des élections musicales du 09 avril 1961. Il profitera de ce mandat du peuple pour implémenter le troisième point des objectifs nationalistes, à savoir l’élévation du standard de vie de ses compatriotes,  malheureusement stoppé par les appétits financiers non satisfais d’un préfet après seulement 04 ans d’exercice et accusé faussement d’atteinte à la sécurité de l’État,  ce qui lui vaudra 05 ans et 06 mois de détention arbitraire à Mantoum et d’as les brigades mixtes mobiles.

Conclusion :

 La crise anglophone trouve son fondement dans le non-respect de l’ordonnancement des priorités de Ruben Um Nyobé qui insistait sur la réunification avant l’indépendance. Avec ce chevauchement colonial, repris par le néocolonialisme et l’endocolonialisme, il y a eu dol déguisé et aujourd’hui,  au lieu de célébrer le 01er octobre comme date de l’indépendance du Cameroun anglais qui retrouvait ainsi le Cameroun français, on redoute plutôt le nombre de morts qu’on pourrait  recenser ce jour.

C’est une insulte à la mémoire de nos héros.

Le chef de l’État a bien pensé le dialogue national pour mettre un terme à cette guerre, mais les organisateurs, au lieu de rechercher les véritables acteurs ont plutôt organisé un festin entre copains et la situation s’aggrave de jour en jour.

Nos frères de cette zone devraient comprendre que  nous sommes un et déposer les armes. En face l’exemple du modèle de pacification du département du Haut-Nkam devrait inspirer.

Enfin, la France doit comprendre que le karma existe.

Les Africains ne détestent pas le peuple français caractérisé par son hospitalité légendaire,  ils rejettent plutôt la politique des gouvernants français. Par exemple la parité du FCFA par rapport au franc métropolitain  qu’elle a changé la veille de l’indépendance en décembre 1959 soit 1FCFA= 0,02 FF contre 1FCFA= 2FF depuis 1947.

Ce qui leur arrive ces derniers temps est une interpellation.

Si les Bantous n’oublient pas le rituel de sacrifice aux ancêtres, les gouvernants français devraient penser à solder la dette coloniale pour être en paix.

Et pour rappel, la dette envers Jean Mbouendé est détaillée ainsi qu’il suit :

  • Un cheptel de 1 000 bœufs détruit en 1947 ;
  • Le décès de sa mère et d’un de ses fils en 1947 des suites d’Avc après l’arrestation arbitraire de Jean Mbouendé ;
  • La destruction de la concession de Jean Mbouendé à Banka le 29 mai 1955 par l’armée coloniale.  La liste des pertes leur avait été adressée par le président Ahidjo même si une information a fuité selon laquelle la France avait indemnisé Jean Mbouendé à hauteur de 70 million en 1960 et cet argent est resté entre les mains du chef de l’État et du ministre des Finances Charles Onana Awana, auquel cas le gouvernement actuel devrait s’y pencher pour régulariser ;
  • 11 000 plants de café âgés de 08 ans et en pleine production détruits en 1959 par l’armée coloniale ;
  • Le remboursement de 70% du million de francs avec intérêts de retard représentant le fond de souscription et les remboursements anticipés d’un prêt de 4 000 000 francs métropolitains accordé à Jean Mbouendé par un établissement financier basé à Clermont-Ferrand , arrivé au Cameroun et immédiatement retourné en France sur ordre du Haut-Commissaire Soucadeaux sous-prétexte que le bénéficiaire est « subversif ». Cela fait 73 ans aujourd’hui. ;
  • L’incarcération arbitraire des épouses de Jean Mbouendé et la disparition de l’une d’elle jusqu’à ce jour.

Les autres familles des victimes de la France devraient l’aider en déclassifiant leurs archives pour faciliter l’indemnisation qui est un droit.

Je n’oublierai pas les victimes phonétiques assassinées juste parce qu’ils portaient le nom de Jean Mbouendé a l’instar du père  du célèbre Djambou Louis marie, Fondateur de l’Institut Universitaire du Golfe de regrettée mémoire et de Ndingué Jean, promoteur de l’hôtel  Aurore à Yaoundé, emprisonné au Nord parce qu’on l’a confondu à Jean Mbouendé.

 Bonne fête de la réunification à nous tous en espérant que nous allons tous œuvrer pour le retour à la paix. Ce serait un grand cadeau pour nos héros et une bénédiction pour le Cameroun

Clément W. Mbouendeu

Gardien de la Mémoire de Jean Mbouendé

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