Une politique : c’est un discours et des actes. Le bilan de la présence française en Afrique nous invite à réagir pour chercher les moyens d’inverser une tendance qui, si elle se poursuivait, signifierait notre déclin sur un continent où nous conservons une influence déterminante.La réalité c’est que la politique africaine de la France a évolué moins vite que l’Afrique elle‐même. Il demeure un décalage entre le discours sur l’enjeu que représente l’Afrique pour la France et la manière dont les politiques publiques à l’égard de ce continent sont menées.   Nous n’avons cependant pas la prétention d’avoir la solution. De nombreuses femmes et hommes œuvrent aux liens entre la France et les pays d’Afrique subsaharienne. Ils y donnent le meilleur d’eux‐mêmes, bien plus souvent par conviction que par intérêt. Nous ne leur ferons pas l’affront de penser que quelques solutions simples, quelques gadgets administratifs tout droit sortis d’un rapport vont infléchir la trajectoire de relations si riches et complexes.Comme l’a souligné Justin Vaïsse, directeur du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie au Ministère des Affaires étrangères : « il n’y a pas de formule magique », de « clef d’entrée facile dans le continent ». Cela est d’autant plus vrai que les trajectoires des différents pays semblent se différencier de plus en plus.   Parler du continent dans son ensemble, il y 30 ans, n’avait pas beaucoup de sens. En parler aujourd’hui en a encore moins. Nous l’avons fait ici trop souvent par facilité de langage, mais, en vérité, de politique africaine, il y en a presque autant que de pays africains. Cette vérité‐là ne doit cependant pas nous faire renoncer à un exercice de synthèse et à la définition d’une stratégie ou d’un cap à suivre. Les problématiques de l’Afrique subsaharienne sont aussi liées à celles du Maghreb, la question du Sahel en est un exemple. Nos travaux sont à mettre en regard de ceux de nos collègues Josette Durrieu et Christian Cambon, chargés du groupe de travail sur les pays de la rive sud de la Méditerranée, et de ceux de Jean‐ Pierre Chevènement et Gérard Larcher sur le Sahel1. S’il n’y a pas de baguette magique, il doit y avoir des inflexions. Si nous avons nécessairement cherché l’idée nouvelle, nous avions aussi à l’esprit que la nouveauté n’est pas toujours la garantie de la pertinence. 1 Rapport d’information n° 720 (2012‐2013) « Sahel : pour une approche globale » de MM. Jean‐ Pierre CHEVÈNEMENT et Gérard LARCHER.  

Nous nous sommes évertués à penser aux moyens de maximiser l’efficacité de notre politique et de nos dispositifs de coopération civils et militaires par rapport aux priorités fixées, sans ignorer que, dans l’hypothèse la plus favorable, il nous faudrait réfléchir dans le cadre des moyens budgétaires actuels d’un État impécunieux qui doit redresser ses finances publiques.   Les pistes que nous avons dégagées sont, à ce stade, encore incomplètes, souvent mal formulées, elles nous ont cependant paru les plus ajustées à la réalité que nous avons observées et au diagnostic que nous venons de formuler. I.

DÉFINIR UNE STRATÉGIE AMBITIEUSE ET COHÉRENTE

Se donner des objectifs pour une politique publique, comme dans la vie, c’est d’abord distinguer, comme les stoïciens le faisaient en leurs temps, ce qui dépend de nous et ce que l’on ne maîtrise pas.

A. CE QUI DÉPEND DE LA FRANCE ET CE QU’ELLE NE MAÎTRISE PAS  

Les facteurs qui ne peuvent pas être maîtrisés par la France sont nombreux. L’ouverture des pays africains aux nouveaux pays émergents et l’implication croissante de ces derniers sur le continent : ces pays sont des voisins et des partenaires politiques de l’Afrique. Leur investissement dans le développement du continent est une bonne nouvelle, s’il ne se traduit pas par un nouvel impérialisme. Nous pouvons plaider pour une harmonisation des pratiques de coopération, une concurrence loyale dans le domaine économique ; nous pouvons chercher à tirer les modèles de développement économique et politique des pays africains vers un modèle plus compatible avec le nôtre, mais nous ne pouvons pas fixer comme objectif de limiter la présence et l’influence des pays émergents en Afrique, qui s’inscrit dans un renversement beaucoup plus large des dynamiques entre le Nord et Sud de la planète. L’appétence des Africains pour le monde anglophone : l’insertion croissante de l’Afrique dans la mondialisation, dans les flux de biens, de capitaux et d’idées conduit nécessairement un nombre croissant d’Africains à se tourner vers la langue de la mondialisation qu’est l’anglais. Il nous faut promouvoir la francophonie, mais cette évolution est inévitable et d’ailleurs pas exclusive d’une progression du français comme d’un renouveau des langues régionales. La défiance à l’égard de tout ce qui pourrait s’apparenter à une forme de néocolonialisme : 50 ans après les indépendances, les pays africains et leurs opinions publiques aspirent naturellement à assumer pleinement leur destinée en toute autonomie. C’est en cela que l’intervention française au Mali a été vécue à la fois comme un soulagement et une honte. Les pays africains ne tolèrent la persistance de dispositifs hérités de la période coloniale que faute de mieux. Le sens de l’histoire que véhicule la notion de « renaissance africaine »

l’émancipation vis‐à‐vis des anciennes puissances coloniales. La France peut donner un sens nouveau à ce partenariat, mais elle ne peut effacer les conséquences de cette perspective historique dans laquelle elle doit s’inscrire, faute de quoi elle risque d’être identifiée au passé.   Les risques d’instabilité politique et sécuritaire : les bouleversements démographiques et économiques que nous avons décrits mettront sous tensions l’ensemble du continent. Alors que les zones les moins développées connaissent les affres des pays où la déliquescence de l’Etat ne lui permet pas d’assurer ni l’ordre public, ni les services publics minima nécessaires au développement, dans les zones plus développées, la croissance économique, l’élévation de vie et d’éducation pourraient entraîner une instabilité politique croissante dans des pays où l’espace public est encore très réduit.   L’histoire des siècles anciens comme celle des printemps arabes ont montré que les phases de décollage économique étaient porteuses d’instabilité et de frustration. Cette instabilité a donc des racines politiques, économiques et sociales profondes qui traversent l’ensemble du continent. Il revient aux Africains d’en limiter les conséquences en favorisant le développement, la sécurité et une vie politique pluraliste.   La France et ses partenaires européens peuvent les y aider, mais les mieux intentionnés de leurs amis ne pourront se substituer à leurs choix.   En revanche, certains facteurs peuvent être mieux maîtrisés par les pouvoirs publics français : Un renforcement de la cohérence de sa politique africaine et des synergies entre les différents acteurs est possible. Il existe des marges de progression substantielles pour accroître la synergie entre les politiques de coopération militaire et civile, économique, migratoire et culturelle. De ce point de vue, la réalisation d’une stratégie globale à l’égard du continent africain permettrait de faire travailler ensemble des départements ministériels dont les actions sont au mieux parallèles et au pire contradictoires. Sur le terrain, des marges de progression existent dans la mise en cohérence du maillage des différentes institutions et réseaux français en Afrique. La promotion d’une image rénovée de l’Afrique qui, sans masquer la réalité, mette aussi en valeur les nombreuses opportunités de ce continent devrait pouvoir faire l’objet d’une réflexions aussi bien en matière de promotion du commerce extérieur avec des opérateurs comme UBIFRANCE, la COFACE, que dans le domaine culturel où les saisons franco‐africaines font déjà beaucoup pour mieux faire connaître l’Afrique ou encore dans le domaine de la recherche où de nombreux laboratoires français ont une expertise reconnue sur l’Afrique. Le renforcement de la présence des entreprises françaises dans les zones d’Afrique anglophones particulièrement dynamiques devrait pouvoir faire l’objet d’une action concertée de la part du ministère des finances et des organisations professionnelles.Le déséquilibre des moyens publics mis en œuvre entre l’Afrique anglophone et l’Afrique francophone nécessiterait également une stratégie plus globale visant à adapter les effectifs du réseau diplomatique et des différents opérateurs de l’action extérieure de l’Etat aux priorités d’une politique africaine réaffirmée.   Les difficultés d’accueil des élites africaines aussi bien dans le domaine universitaire que dans les domaines du commerce et des arts relèvent également d’un champ d’action dans lequel la France a la possibilité d’inverser la tendance en simplifiant l’accueil des demandeurs de visa, qui est aujourd’hui un véritable parcours du combattant, et en encourageant la dématérialisation et la simplification des procédures d’inscription et de délivrance de visas circulaires, mais aussi soutenant la promotion des formations d’excellence françaises sur ce qui, aujourd’hui, est devenu un marché de la formation des élites. Le soutien à la Francophonie fait également partie des domaines dans lesquels la France peut mener une politique plus ambitieuse dans l’appui à la formation initiale et continue des professeurs, au réseau français à l’étranger, aussi bien les établissements, Instituts et les Alliances françaises, mais aussi à travers le soutien à l’audiovisuel et aux médias francophones. Cela exige de mieux jouer sur les complémentarités des canaux bilatéraux et multilatéraux.

B. TENIR UN AUTRE DISCOURS SUR L’AFRIQUE

Formuler un nouveau discours sur la politique africaine de la France n’est pas chose aisée. Nicolas Sarkozy comme François Hollande s’y sont essayé. Beaucoup de choses ont été dites. A relire les discours du Cap, de Dakar, voire très récemment de Tombouctou, on se rend compte que les divergences sont d’ailleurs moindres que les points communs.   La première étape d’un renouveau de notre politique africaine consiste à vouloir en formuler une, à juger qu’il est utile, au‐delà de l’évolution des relations bilatérales, des fluctuations diplomatiques au gré des événements, en réaction aux crises ou à la suite de visites ministérielles, de formuler une politique africaine de la France. Formuler une stratégie, c’est d’abord définir un objectif et sa justification. L’objectif c’est le renforcement de notre lien avec le continent africain. La justification c’est établir la démonstration que se joue sur ce continent une partie de notre avenir. Nous l’avons ici suffisamment étayé pour ne pas avoir à le répéter.   Notre proximité avec l’Afrique peut être une menace comme une opportunité, dans les deux cas nous avons intérêt à une politique africaine plus ambitieuse et plus cohérente.   Un document stratégique, à l’instar de ce qu’ont établi les Américains, les Allemands ou les Chinois, présenterait l’avantage, au‐delà de ce modeste rapport parlementaire, d’essayer de convaincre les responsables administratifs et les CHAPITRE 4 :

Entrepreneurs privés des opportunités que représente le décollage de l’Afrique dans le contexte géopolitique du début du XXIè siècle.   Il s’agit de quitter le « vieux récit » sur une Afrique du passé et de susciter, selon l’expression plusieurs fois évoquée, un « besoin d’Afrique » qui soit le pendant d’une « demande de France », de prendre la mesure des atouts français sur ce continent, mais aussi des défis auxquels il nous faut faire face dans un continent sous une tension liée à une transformation accélérée des sociétés. Plusieurs mois de travail nous ont convaincus que la France, ses entreprises, ses talents, peut profiter de la croissance africaine et qu’inversement nous pouvons contribuer à atténuer les risques auxquels devront faire face les responsables politiques africains en termes de démographie, d’urbanisme, d’environnement et de sécurité. L’amélioration de l’image et de la connaissance de l’Afrique doit s’inscrire dans le long terme et s’appuyer sur une recherche universitaire de qualité sur l’Afrique. Longtemps la France a été pionnière dans ce domaine. L’intérêt pour les pays émergents a conduit à réduire les budgets consacrés à l’Afrique. Il conviendrait de réfléchir à la nécessité ou non d’un rééquilibrage : si l’Afrique est un continent en émergence, dont la France est proche à divers égards, alors il est cohérent de lui consacrer plus de moyens. Administrer la preuve que la France a besoin de l’Afrique comme cette dernière a besoin de la France : la deuxième étape, comme la deuxième partie de la phrase, est, dans les faits, plus difficile à démontrer au‐delà de l’actualité immédiate du Mali.   L’Afrique a‐t‐elle besoin de la France ? Il nous faut en faire tous les jours la démonstration, faire en sorte que les responsables africains considèrent la présence d’experts français, d’entreprises, d’écoles française comme utiles à leur développement, à leur sécurité ou à l’équilibre de leur relation avec les émergents.   Pour cela, la France doit continuer à faire la démonstration qu’elle a une expertise, une connaissance de l’Afrique et des valeurs qui lui permettent d’être un partenaire utile, fiable et loyal, prêt à partager, avec les responsables politiques africains comme avec les organisations des sociétés civiles africaines, une vision d’un développement du continent harmonieux, respectueux des équilibres sociaux et environnementaux.   Sur le long terme, les pays émergents nous rattraperons dans la formation d’experts, notamment dans les domaines techniques. Les universités indiennes rivalisent déjà dans certains domaines avec nos meilleures grandes écoles. Les effectifs des ingénieurs que produisent les systèmes de formation supérieure indiens ou chinois auront, par ailleurs, un effet de masse. Les deux processus combinés nous feront sans aucun doute perdre le monopole de l’expertise dans des pays d’Afrique. Pour rester compétitif, il nous faudra en conséquence nous battre sur le maintien de la qualité d’excellence de notre expertise et sur notre connaissance et notre familiarité avec la culture africaine.

Pour faire face à ces défis, la diplomatie française, en premier lieu, doit pouvoir produire un nouveau discours sur la relation de la France à l’Afrique. Les enquêtes sur l’image de la France en Afrique sur la décennie montrent une dégradation sensible. Certes, le Mali a marqué les esprits. L’intervention n’a pas fait taire ceux qui ont dénoncé en leur temps les interventions en Côte d’Ivoire, au Tchad ou encore l’épisode dramatique du Rwanda.   Le nouveau discours sur l’Afrique doit trouver son équilibre entre le rappel de la permanence des liens entre la France et l’Afrique depuis deux siècles, qui explique la spécificité des relations franco‐africaines, et la nécessité de se départir de la posture postcoloniale qui consiste à considérer que notre pays a une « vocation » africaine et/ou une responsabilité particulière vis‐à‐vis de l’Afrique.   Cette posture, teintée parfois de culturalisme, a souvent conduit la France à vouloir parler « au nom des Africains » et à se substituer à eux pour régler leurs problèmes.   Un nouveau discours sur l’Afrique devrait donc insister sur le fait que ce temps‐là, que cette posture‐là est révolue, mais que la spécificité de notre relation avec chacun des pays du continent n’appartient pas au passé, mais à l’avenir. Le choix du Président de la République de placer l’opération Serval sur le plan symbolique de la dette de sang a eu l’avantage de rappeler ces liens spécifiques liés à une histoire partagée, mais aussi de placer le Mali et la France dans une relation d’égal à égal. L’étape suivante aurait pu consister à déclarer que cette intervention avait aussi à voir avec la défense des intérêts français, dans l’Hexagone comme sur le continent. Fini la « Grande famille » des chefs d’Etat africains, le village franco‐ africain, le conseil de famille, le rôle de grand frère, l’évocation de modes de relations considérées comme acquises, pour privilégier dans le discours comme dans les actes des relations d’égal à égal. Au‐delà du contexte spécifique de l’opération malienne, l’évocation du passé ou de la dette de sang ne pourra éternellement servir de viatique dans une Afrique qui entre de plein fouet dans la mondialisation, les yeux rivés sur un avenir qu’elle pressent comme meilleur.   Il nous faut reconnaître que la France n’est qu’un partenaire parmi d’autres qui, comme les autres, a des intérêts et agit en conséquence.   Comme nous l’a dit un ambassadeur lors de nos déplacements    « Les Africains sont lassés des grands discours moralisateurs et de l’« empathie » française envers le continent ; ils préfèrent que la France, comme les autres puissances, affiche clairement ses intérêts et traite avec eux comme avec n’importe quel autre interlocuteur dans le monde ». Parfois habités par le paternalisme, les acteurs français sous‐estiment généralement l’instrumentalisation dont ils peuvent faire l’objet de la part d’interlocuteurs africains les connaissant mieux qu’ils ne le croient. Sans doute faut‐il clairement renoncer à la tentation de se substituer à des décisions qui ne 

  Nous appartiennent pas, renoncer à vouloir par trop influencer des trajectoires qui ne sont pas les nôtres.   C’est‐à‐dire abandonner toute ingérence ancienne manière avec la « politique du béret rouge », mais également nouvelle manière, avec son lot de conditionnalités démocratiques, financières et, plus récemment, environnementales. Il reste que nos moyens nous obligent. On l’a vu au Mali, où la France a pesé de tout son poids pour imposer le calendrier des élections et les bases d’un accord avec les Touaregs. On le voit en Centrafrique où renoncer à intervenir, c’est accepter des exactions qui mettent en danger de nombreuses vies dont celle des expatriés français, mais aussi mettre les pays riverains et les organisations régionales devant leurs responsabilités. Renoncer à l’ingérence mais pas à nos valeurs : c’est l’équilibre à trouver. La France ne peut pas dépenser plusieurs milliards dans sa coopération civile et militaire sans par ailleurs avoir quelque espoir d’influencer nos partenaires dans le sens de la démocratie, des droits de l’homme ou de l’adoption de modes de développement durable et inclusif.   L’idée est d’abord de tirer les enseignements des printemps arabes pour entretenir un lien fort non seulement avec les Etats mais également avec les sociétés elles‐mêmes.   Elle est ensuite de signifier que les pays africains ne sont pas pour la France seulement des réservoirs de matières premières et un marché pour nos entreprises, mais également des partenaires dont le développement harmonieux constitue un objectif partagé.  

Autrement dit, prendre appui sur notre tradition républicaine et notre engagement en faveur de l’aide au développement et des biens publics mondiaux pour promouvoir une vision du développement de l’Afrique conforme à nos valeurs comme à nos intérêts et qui nous distinguerait de certains pays émergents. Renoncer à l’ingérence mais pas à notre expertise, qu’il convient de valoriser et même de rentabiliser.   Il y a des domaines et des pays en Afrique qui ont suffisamment de ressources pour que nous puissions « vendre » notre expertise, faire valoir notre savoir‐faire. De ce point de vue, il faut en finir avec une posture dominée par l’obligation d’assistance et ajuster notre positionnement à chaque contexte.   Il y a en Afrique un marché de l’expertise sur lequel la France doit mieux se positionner en mettant en ordre de bataille ses opérateurs publics. Le point commun de ces approches est d’essayer de développer un narratif plus juste des liens unissant la France à l’Afrique.   Plutôt que de définir la relation d’abord comme un héritage du passé colonial, il faut la caractériser autant que possible en fonction des paramètres qui la façonnent aujourd’hui en insistant sur le fait que la France est liée à l’Afrique :parce que des millions de Français sont d’origine africaine, ou vivent ou ont vécu en Afrique ; ‐  parce que la France a des intérêts économiques et stratégiques en Afrique et qu’elle regarde ce continent en essor comme un réservoir de croissance ; ‐  parce que l’Afrique, notamment l’Afrique de l’Ouest, représente un enjeu pour la sécurité nationale de la France (trafic de personnes, trafic de drogue, terrorisme…) ;

Parce que la France est garante de la stabilité monétaire des quinze Etats africains appartenant à la zone franc ; ‐ parce que nous avons un intérêt partagé à un développement durable et harmonieux de l’Afrique. Dans le domaine de la sécurité, plutôt que des discours vertueux sur la responsabilité française vis‐à‐vis de l’Afrique, mieux vaudrait dire haut et fort que la France, comme toute puissance, a des intérêts sur le continent et qu’elle est prête à les défendre quand ils sont menacés.Dans le même temps, il convient de rééquilibrer un discours dominé par la peur du terrorisme ou de l’immigration.   Si le regard sur l’Afrique tend à évoluer positivement, on continue néanmoins, dans certains cercles, à voir le continent avant tout comme une menace plus qu’une opportunité. L’Afrique n’est pas pour la France qu’une question de sécurité.La politique africaine ne saurait se réduire à la coopération militaire ou à la prévention de l’immigration illégale.Notre discours sur l’Afrique doit faire sa part à l’Afrique qui décolle. Nous en avons décrit ici les nombreux enjeux politiques, économiques, commerciaux, environnementaux et culturels. La France doit y défendre ses atouts et ses intérêts sans complexe.   C’est d’ailleurs ce qu’attendent nos interlocuteurs africains.La démarche des pays émergents proposant un partenariat gagnant/gagnant devrait nous inspirer.C’est un gage de modernité, conforme aux nouvelles relations que le continent entretient désormais avec le reste du monde. Il faut s’émanciper le plus possible du passé pour parler de l’avenir d’un continent jeune avec lequel nous voulons compter, notamment du point de vue économique.   Au regard des enjeux, il est temps de se départir des préventions postcoloniales et d’assumer le fait que l’Afrique n’est pas seulement partie prenante de notre histoire, mais aussi un élément clé de notre avenir.  

Assumer nos intérêts, s’orienter vers l’avenir, miser sur notre expertise de l’Afrique : voilà les orientations que nous proposons pour structurer un nouveau récit sur notre relation à l’Afrique. 1) Définir la relation de la France aux pays africains d’abord en fonction de nos intérêts partagés : des millions de Français qui sont d’origine africaine, ou vivent ou ont vécu en Afrique; des intérêts économiques et stratégiques, un enjeu pour la sécurité de la France comme de l’Afrique   2) Se départir des préventions postcoloniales et assumer le fait que l’Afrique n’est pas seulement partie prenante de notre histoire, mais aussi un élément clé de notre avenir.

C. DÉFINIR UNE STRATÉGIE AMBITIEUSE ET COHÉRENTE

L’intérêt de définir une stratégie africaine de la France est dans le résultat autant que dans la méthode.   Faire travailler ensemble les différents départements ministériels, le Quai d’Orsay, sa direction politique en charge de l’Afrique, mais aussi la DGM et la nouvelle direction en charge des entreprises, la défense, la coopération, les finances, les opérateurs de l’Etat, l’AFD, l’Institut français, l’AEFE, l’Alliance française, France expertise internationale, ADETEF, le CIAN, le Medef international, les entreprises présentes en Afrique, les ONG sur la présence de la France en Afrique et notre politique africaine : voilà qui permettrait de dépasser les clivages administratifs, les frontières idéologiques pour analyser comment la France peut orienter sa politique dans cette Afrique en mouvement. Plusieurs formules étaient envisageables pour créer cette synergie.   L’unité du pilotage de la politique africaine, longtemps représentée par le Secrétariat général pour les affaires africaines et malgaches, qui couvrait l’ensemble des secteurs au service d’une politique africaine unifiée tant dans ses objectifs que dans ses moyens, a laissé place à une fragmentation des centres de décision dont on mesure les inconvénients en termes de cohérence. Cette formule est d’un autre temps, elle avait elle aussi ses inconvénients et notamment l’existence d’une politique parallèle à celle définie par chaque ministère qui faisait de l’Afrique un domaine réservé pour le meilleur et pour le pire. Elle a sans doute favorisé les dérives que l’on a dénoncées. Il reste que sa disparition a laissé une faille dans le dispositif. En dehors de réunions techniques, il n’y a plus véritablement de lieu où les différents acteurs réfléchissent à leurs intérêts communs et aux synergies qu’ils peuvent dégager. Pour ce qui est de formuler une stratégie définie en commun par l’ensemble des acteurs : la formule du Livre blanc à la manière du Livre blanc sur la défense et la sécurité semblerait la plus adaptée. Il n’est pas nécessaire de créer une structure pérenne. En revanche, il faut pouvoir associer des responsables de haut niveau représentant l’ensemble du spectre des institutions intervenant en Afrique.

La Commission du Livre blanc sur la politique africaine pourrait comporter une quarantaine de membres représentant le Parlement, les administrations, les opérateurs, les ONG et des personnalités qualifiées françaises et étrangères et notamment africaines.   Présidée par une personnalité incontestée dotée d’une lettre de mission du Président de la République, cette commission du Livre blanc sur l’Afrique pourrait bénéficier des réflexions des groupes de travail thématiques qu’elle aurait constitués pour démultiplier son action et étendre le champ des personnalités entendues.   Elle permettrait à chacun des acteurs de s’approprier une stratégie collective et de procéder à des choix autres que sur le seul critère budgétaire. L’exercice devrait également permettre à chacun de comprendre les préoccupations des autres intervenants et de s’approprier des objectifs communs au‐delà des différences légitimes entre, par exemple, militaires et ONG, coopérants et industriels, universitaires et diplomates.   Il devrait pouvoir déboucher sur un débat large qui puisse avoir un retentissement médiatique et politique avec un débat au Parlement. Sur le fond, il ne s’agit pas de définir une ligne politique unique pour l’ensemble du continent, mais une stratégie adaptée à un objet lui‐même complexe : l’Afrique est plurielle et notre politique doit l’être aussi. Il ne peut plus y avoir une politique africaine de la France, mais des politiques de la France en Afrique.   Notre stratégie doit être modulée en fonction de nos avantages comparatifs et des enjeux spécifiques à chaque région, voire à chaque Etat partenaire. Certains Etats sont de meilleurs partenaires en bilatéral qu’en tant que membres d’une organisation régionale ; certaines organisations régionales fonctionnent, d’autres ne sont pas mûres ; l’Union Africaine est performante sur certains sujets, moins sur d’autres. Il semble évident que l’Afrique de l’Ouest va continuer de constituer, dans les années à venir, une zone d’attention cruciale pour notre diplomatie, notre appareil de défense et nos entreprises. Parce que le centre de gravité des crises, hier plus proche de l’équateur, s’en est rapproché, mais aussi en raison des liens interpersonnels forts reliant nombre de nos concitoyens à cette région. Il faut en prendre acte et placer la sous‐région Afrique de l’Ouest au cœur d’une stratégie assumée et énoncée à l’égard du continent.   Cette priorité à l’Afrique de l’Ouest devrait s’accompagner d’un investissement résolu, centré sur l’économie, en direction des pays dynamiques des régions non francophones (Afrique du Sud, Nigeria, Kenya, Botswana, Ethiopie, Angola, Mozambique).   Une stratégie africaine devrait pouvoir articuler cette fidélité à l’Afrique francophone et cette ouverture à l’Afrique anglophone.  

Elle devrait également penser les évolutions de l’Afrique de l’Ouest avec celles de l’Afrique du Nord.   De ce point de vue, il faudra penser notre relation à l’Afrique au‐delà du clivage entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. La question du Sahel a montré les limites de cette démarche. Les dynamiques politique, économique, voire religieuse vont dans le sens d’une interpénétration grandissante du Nord et du Sud du continent. 3) Etablir une stratégie africaine de la France sous la forme d’un Livre Blanc sur l’Afrique en associant des membres représentant le Parlement, les administrations, les opérateurs, les ONG intervenant en Afrique et des personnalités qualifiées françaises, étrangères et notamment africaines.

D. S’EMANCIPER DU PASSÉ 

  La relation franco‐africaine reste lestée du poids d’un passé mal assumé.   Le rejet dont la France est parfois l’objet, notamment dans les couches les plus jeunes de la population africaine, tire argument de sa responsabilité dans les pages les plus sombres de l’histoire de l’Afrique : l’esclavage qui l’a saignée de ses forces vives alors qu’elle constituait encore un continent sous‐peuplé, la colonisation qui marqua son entrée traumatisante dans la modernité tout en l’enserrant dans des frontières qu’elle n’avait pas choisies, la décolonisation dont on néglige qu’elle fut, en Afrique subsaharienne, émaillée de massacres aujourd’hui «oubliés» (Madagascar 1947, Cameroun 1955, Algérie…).   Dans notre pays même, le passé colonial et post‐colonial a du mal à passer.   Le thème resurgit régulièrement dans l’espace public, provoquant scandales et controverses, signe de la profondeur du malaise attaché à la relation à l’Afrique dans notre pays. Celui‐ci tire sa source d’une difficulté à regarder en face l’histoire coloniale et des relations qui se sont tissées dans la décolonisation avec les anciennes colonies d’Afrique subsaharienne et du Maghreb.   Cette histoire est peu et mal connue dans la société française. Certains événements douloureux, dans lesquels notre pays n’a pas eu le beau rôle, font encore débat et ne sont pas entrés dans l’histoire « officielle », si tant est que ce terme ait un sens.   Ce passé alimente à la fois une certaine culpabilité, notamment chez les progressistes, et quantité de fantasmes et de caricatures. Il a forgé, dans les représentations collectives, des images extrêmement fortes et réductrices, qui ont tendance à symboliser pour nos compatriotes la réalité africaine, comme celle du monarque africain, autocrate corrompu et richissime, celle des affaires politico‐ financières (Elf, « angolagate »), ou celle du l’aide détournée (« Carrefour du développement »,  « éléphants blancs »).  

– Face à cette histoire refoulée et à ces images médiatiques, le système politique français peine à énoncer, vis‐à‐vis de l’ancien espace colonial, un discours et des pratiques permettant de concilier les valeurs universelles que nous portons, la défense de nos intérêts et l’héritage de cette histoire.   La coopération est devenue depuis longtemps, aux yeux de l’opinion et d’une grande partie des élites, un des principaux symboles de cette histoire. Une partie de ses dysfonctionnements trouvent d’ailleurs leur origine dans ce malaise africain, porté par les décideurs ou les acteurs de la coopération eux‐mêmes : la   préférence pour le multilatéral supposé neutre et légitime, face à un bilatéral « corrupteur» ; l’obsession de notre aide à l’Afrique, érigée en vache sacrée, sans savoir bien souvent de quelle Afrique on veut parler. Une telle assimilation coopération‐« Françafrique » était sans doute excessive il y a vingt ans. Elle est, à présent, largement anachronique, tant les pratiques ont évolué.   Pourtant elle reste très présente. Et elle viendra immanquablement s’inscrire en toile de fond d’une relance de la politique africaine que nous souhaitons.   C’est pourquoi il convient de régler ces contentieux, qui empoisonnent la relation et solder le passé par une mise en récit commune de cette histoire partagée.   Pour cela, toutes les initiatives qui peuvent déboucher sur des regards croisés sur l’esclavage, la colonisation et la période post‐coloniale sont à promouvoir : livre d’histoire franco‐africain écrit à deux mains, initiatives collectives franco‐africaines, etc.   Pour ce faire, nous proposons de créer un programme de soutien aux travaux de recherche franco‐africains abondés par des crédits de l’ensemble des ministères concernés (affaires étrangères, éducation nationale, recherche, défense).   Il s’agirait de promouvoir le travail d’équipes mixtes franco‐africaines sur l’histoire commune.  

Ce programme « pour une écriture franco‐africaine d’une histoire partagée » devrait être complété par une plus large ouverture des archives sur la période coloniale. La remise récente des archives sur le massacre de Thiaroye va dans ce sens1 . Ce geste doit être renouvelé pour l’ensemble des épisodes suscitant encore des débats et où des travaux scientifiques sont susceptibles d’apaiser les mémoires. 1 Le massacre de Thiaroye, ou tragédie de Thiaroye, s’est déroulé dans la périphérie de Dakar au Sénégal le 1er décembre 1944 quand des gendarmes français renforcés de troupes coloniales ont tiré sur des tirailleurs sénégalais, récemment démobilisés et pour la plupart anciens prisonniers de guerre et qui manifestaient pour le paiement de ce qui leur était dû et promis depuis des mois. Le bilan officiel rappelé par François Hollande lors de son discours à Dakar le 12 octobre 2012 est de 35 morts…à Suivre (2nd partie)

Source: Rapport du Sénat français de 2013/2014, “l’Afrique est notre avenir”

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