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L’AFRIQUE et le projet de test de vaccin contre le coronavirus : Comment inspirer la dignité et le respect des autres ?

Espérant que vous vous protégez bien contre le coronavirus (ou COVID-19) dans vos pays respectifs, ce conformément aux directives des autorités politiques et sanitaires nationales, je viens vous proposer cet article, à la suite de propos méprisables à l’encontre du continent africain, tenus par deux chercheurs français lors d’une émission télévisée sur la chaîne LCI le 1er avril 2020. Une fois de plus, L’Afrique, parent pauvre du développement, est victime du mépris et de l’arrogance de deux « donneurs de leçons » français, en plus du mépris « interne » dont elle est déjà victime. Alors que faire face cette imposture permanente de l’extérieur qui tend parfois à faire oublier celle émanant des Africains eux-mêmes, du fait notamment du manque de vision de leurs dirigeants ? Je vous présente mes réflexions sur le sujet, avec une articulation passé-présent-futur. L’actualité de conséquences du coronavirus, pendant et après, ne viennent que confirmer tout l’intérêt de mon livre, « Afrique : ton développement en question », publié aux éditions l’Harmattan (Paris), le 30 janvier 2020, bien avant que la crise engendrée par le coronavirus soit à son paroxysme.

Toutes les puissances occidentales, sont aujourd’hui terrassées par le coronavirus qui est comparable une arme de destruction massive invisible et silencieuse. Celle-ci a commencé à faire ses dégâts en Chine, avant de se diffuser dans le reste du monde, en commençant par l’Europe, puis les États-Unis et ainsi de suite, et notamment en Afrique, bouleversant et remettant en cause les certitudes et l’arrogance de ces puissances nucléaires.

 Si la Chine a pu et a su contenir COVID-19, ce dernier continue de terrasser les autres pays. En l’occurrence au 8 avril 2020, les États-Unis, l’Italie, l’Espagne et France ont enregistré 13 000, 14 455, 17 000 et 10 800 décès respectivement ; les États-Unis devenant même le premier foyer mondial du risque. Pourtant, il y a moins de deux semaines, M. Trump, le président américain, débordait d’arrogance, en qualifiant le COVID-19 de virus chinois tout en l’assimilant à une simple grippe. M. Boris Johnson, le premier ministre anglais, a eu la même attitude d’irresponsabilité, avant de se rendre à l’évidence des dégâts causés par ce virus, y compris sur le plan personnel.

L’Afrique, quant à elle, a été relativement épargnée à ce jour avec 536 décès. Toutefois, l’implémentation des mesures de protection et prévention n’étant pas toujours adaptée à la structure sociale et économique des populations africaines, le risque de COVID-19 pourrait se diffuser avec une célérité importante, du fait de la faiblesse des infrastructures hospitalières. Il convient cependant de préciser que l’Afrique est essentiellement composée de jeunes, 40% de sa population étant constituée d’enfant de moins de 15 ans. Jusqu’à présent, statistiquement, la pandémie COVID-19 a épargné les enfants. 

M. Macron, le président de la République française, lors de son discours du 16 mars 2020 annonçant le début des mesures de confinement de la population, a martelé à six fois, « Nous sommes en guerre » afin de sensibiliser les Français sur la menace du coronavirus, cet adversaire invisible qui pèse sur le pays tout entier. Ainsi, en plus du souci de préserver la vie des citoyens, la « bataille » pour la découverte du vaccin qui permettrait d’anéantir complètement « l’ennemi invisible » est lancée. Cette bataille des essais cliniques pour trouver la perle rare, implique les pays les plus avancés dans le domaine de la recherche, notamment l’Allemagne, l’Australie, la Chine, les États-Unis et la France, pour ne citer que ceux-là avec des enjeux financiers colossaux. Pour illustrer la sensibilité et les enjeux stratégiques liés à la mise au point de ce vaccin, en France, on a vu avec quelle virulence le Professeur Didier Raoult – directeur de l’institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille – s’est retrouvé contre tous les pouvoirs, médicaux, politiques et médiatiques français, du fait de soutenir qu’un traitement à l’hydroxychloroquine, à base de chloroquine, est efficace contre le coronavirus. Outre-Atlantique, M. Trump s’est rangé en faveur de la chloroquine, quand finalement en France, à la suite de nombreuses pressions de la société civile, le pouvoir s’est ménagé une voie de sortie, en autorisant des traitements à base de chloroquine sous conditions.

C’est dans ce contexte de recherche de vaccin, qu’au cours d’une séquence diffusée le 1er avril 2020 sur la chaîne LCI, le professeur  Jean-Paul Mira, chef de service de médecine intensive et réanimation à l’hôpital Cochin (Paris) a demandé au professeur Camille Locht, directeur de recherche à l’Institut national de santé et de recherche médicale (Inserm) à Lille : « Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation, un peu comme c’est fait d’ailleurs sur certaines études avec le sida, ou chez les prostituées : on essaie des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées. Qu’est-ce que vous en pensez ? » Le chercheur lui a répondu : « Vous avez raison ».

Un échange qui a entraîné une levée de boucliers partout en Afrique, car assimilant les Africains à des cobayes utilisables à souhait. Ceci d’autant plus que la chaine LCI ne s’est pas manifestée après l’émission pour apaiser la tension générée par cette communication maladroite et révélatrice du mépris autorisé au nom une fois de plus de la puissance économique incontestable et incontestée des occidentaux sur le continent africain.

Je ne m’attarderai pas sur les propos de ces chercheurs, qui, en plus d’être irrespectueux, scandaleux voire racistes, nous renvoient l’image (effet miroir) – que certaines « bouches autorisées » se font de l’Afrique. Ces propos mettent en lumière l’incapacité de l’Afrique à se faire respecter sur le plan international, à affirmer concrètement sa propre vision sociétale, ainsi que les moyens nécessaires pour matérialiser celle-ci. Sans complaisance aucune, j’ai envie de dire à mes frères et sœurs africains que chacune et chacun de nous, principalement la classe politique africaine, a une part de responsabilité pour combattre contre cet autre « virus comportemental » qu’est la permanence du mépris des donneurs de leçons occidentaux, même en ce moment où le tout le monde, sans exception, devrait faire preuve d’humilité et surtout d’humanisme. Est-il nécessaire de rappeler que le coronavirus à lui tout seul a mis la Chine en panne, l’Europe au bord du précipice et les Etats-Unis à genou. Les moments que nous vivons ne sont-ils pas suffisamment graves pour revenir aux valeurs humaines qui ont tant fait défaut à notre monde dominé par ce libéralisme à outrance ? Prise sous sa forme primaire, l’expression de L.S. Senghor, « l’émotion est nègre, comme la raison est Hellène » qui semble a priori très brutale, prend tout sens, selon moi, face à la réaction, certes légitime et justifiée, des Africains à la suite de l’échange entre ces deux chercheurs français. Nous n’en sommes plus à un premier choc émotionnel près.  En l’occurrence, deux anciens présidents de la République française avaient fait deux sorties médiatiques ayant suscité de nombreuses d’Africains, car jugées peu élogieuses envers l’Afrique : « L’Afrique n’est pas assez mûre pour la démocratie » (M. Jacques Chirac) et « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » (M. Nicolas Sarkozy).

Les germes qui nourrissent ce mépris, cette désinvolture des occidentaux à l’encontre de l’Afrique sont multiples. Je ne saurais les énumérer de manière exhaustive ici. L’esclavage et la colonisation ont développé en eux un sentiment de supériorité qui s’est affermi avec l’exploitation à outrance des richesses intellectuelles, culturelles, économiques et politiques du continent africain qui pourtant considéré comme le berceau de l’humanité. Cette histoire d’une Afrique puissante dans tous les domaines (astronomie, mathématiques, architecture…) jusqu’à la fin du 16ème siècle, avec de grands royaumes et empires (Ghana, Mali, Songhay…), est expressément exclue des programmes scolaires et universitaires en Europe. Malheureusement, c’est aussi le cas dans les programmes scolaires en Afrique, puisque les pays africains, pour la plupart, ont signé des accords de coopération (sur la définition des programmes académiques) au moment de leur indépendance théorique. Tenez-vous tranquille, surtout pas des accords de développement. Ces accords de coopération sont propices à cultiver la soumission, entretenir le rayonnement de la puissance occidentale, au lieu de l’estime de soi et le sens critique, de véritables stimulants de l’esprit d’innovation et de création de valeur ajoutée.

On pourrait accorder des circonstances atténuantes à certains des donneurs de leçons, comme les deux chercheurs français dont il est question ici. Ils ne sont pas toujours de mauvaise foi ; c’est aussi souvent par ignorance et inculture sur la valeur du continent africain. Pourtant il est question ici d’illustres chercheurs, à la pointe dans leur domaine. Sauf que, comme ces derniers se réclament du côté des « vainqueurs de l’Occident » (les États-Unis et treize pays européens) qui s’étaient réunis à la Conférence de Berlin en 1884 pour se partager l’Afrique pour l’exploiter au travers de la colonisation, les indépendances théoriques des années 1960 n’ayant véritablement rien changé. En effet, le développement de l’Afrique n’a jamais été à l’ordre du jour des pays occidentaux. D’où la question fondamentale que chaque Africain devrait se poser: « quelle est ma vision à propos du développement de l’Afrique? ».

L’objectif que les pays assignaient à l’Afrique, en lieu place de l’Afrique, consistait à « se développer » exclusivement par l’exportation de matières premières, surtout pas au travers de la transformation – et donc de l’industrialisation – comme cela avait été envisagé pour les pays asiatiques (Chine, Indonésie, Malaisie…), du fait de leur main d’œuvre abondante. Autrement dit, dans la production de certains de leurs produits finis ou manufacturés, pour les pays occidentaux, l’Afrique et l’Asie devaient avoir deux rôles précis, fournisseur et sous-traitant respectivement. Et c’est partant de ce rôle de « sous-traitant du monde » que la Chine s’est hissée à la pointe du développement, au point de s’ériger aujourd’hui en deuxième, voire première puissance économique mondiale ; prenant ainsi à contre-pied la stratégie occidentale.

Dans la pandémie actuelle qui ravage le monde, notamment l’Europe et les États-Unis qui manquent de masques, l’Afrique aurait pu être un fournisseur alternatif à la Chine pour le bonheur de tous. Mais ce point n’est pas à l’ordre du jour, parce les rôles établis semblent bien clair, ce d’autant plus que très peu de pays africains ont une politique industrielle viable, impulsée par leurs dirigeants. En revanche, pour tester les vaccins, en l’occurrence le vaccin contre le coronavirus, l’Afrique semble être une terre fertile. Pourtant, dans cette même Afrique, on y trouve d’imminents chercheurs, scientifiques, aussi valeureux que leurs homologues européens, qui sont prêts à relever de nombreux défis et ne demandent qu’à avoir les moyens de leurs ambitions. Pire encore, leur activité de recherche est quasiment totalement financée (à hauteur de 95%) par l’extérieur, pour le compte des intérêts financiers colossaux des multinationales et sociétés privées des pays « financeurs ». Plus précisément, dans le domaine de la santé, la pharmacopée africaine, qui a un potentiel de développement important et l’avantage de pouvoir intégrer les riches connaissances et pratiques ancestrales en matière de plantes notamment, est autofinancée par les Africains. Malheureusement, cette pharmacopée africaine rencontre d’énormes problèmes de reconnaissance et de développement, du fait des pressions habiles des lobbies pharmaceutiques internationaux prompts à défendre leurs intérêts. De plus, les résultats des recherches effectuées par les chercheurs africains subventionnés par l’extérieur – pouvant conduire à l’obtention de brevets – sont généralement la propriété des pays subventionnant ces recherches. Ce qui est normal, car les Etats africains et l’Union africaine – l’organisation qui est censée jouer le même rôle en Afrique au même titre l’Union européenne en Europe – n’ont pas de vision en matière de recherche et développement et encore moins s’en donnent les moyens. Alors que ce domaine devrait être un des axes majeurs des investissements à consentir pour le développement de l’Afrique, notamment en matière de santé publique des populations, pour assurer le bien-être de ces dernières. En effet, sur le plan de la recherche scientifique, l’Afrique accuse un retard abyssal comparativement à d’autres continents : avec 15% de la population mondiale, l’Afrique ne compte que 2.4% des chercheurs, 2.6% des publications scientifiques et 0.1% des dépôts de brevets. C’est effectivement par leurs capacités d’innovation que la Chine et la Corée du Sud ont su se hisser parmi les puissances industrielles mondiales. Par ailleurs, il est essentiel de relever que l’Union africaine, dont le budget minoritairement financé par les pays africains –seulement 26 % en 2017 – ne saurait véritablement jouer un rôle prépondérant dans la stratégie de développement du continent africain, puisque n’ayant pas une autonomie respectable par les pays africains et le reste de la communauté internationale. Là aussi, il ne faut pas s’étonner que cette institution ne pèse pas de son poids sur les grandes questions stratégiques qui concernent l’Afrique (paix et sécurité, démocratie, stratégie économique…).

Le développement ne peut se faire sans vision sociétale ; Les Etats africains, sous l’impulsion de la volonté politique et le patriotisme de leurs dirigeants, doivent se donner les moyens pour non seulement amorcer véritablement ce développement, mais également inspirer considération et respect sur le plan international. Ce n’est qu’ainsi, que progressivement, l’Afrique gagnera en crédibilité et respect, dans différents domaines ; évitant ainsi des propos méprisables comme ceux que nous avons pu entendre de la part de ces deux chercheurs français.

En conclusion, même si je condamne fermement les actes de mépris, le manque considération dont l’Afrique fait régulièrement l’objet, je suis convaincu que l’Afrique devrait se concentrer sur elle-même, c’est-à-dire, sur ce qu’elle voudrait qu’elle soit et affirmer sa vision dans les faits. A mon sens, ce sera la meilleure façon d’inspirer le respect des autres et d’être digne, comme d’autre l’ont fait, par exemple, la Chine et la Corée du Sud. La confiance et l’estime de soi, combinées à une action efficace, forcent le respect de l’autre qui est d’abord là pour défendre ses intérêts, parfois par tous les moyens, y compris les moins. Et si le coronavirus pouvait davantage contribuer à éveiller la conscience de L’Afrique et des Africains sur les vrais enjeux de ce monde déshumanisé et déréglé par les excès du libéralisme économique, alors tout n’aura pas été perdu, malgré ces milliers morts dont le monde se serait passé. 

Jean-Claude ELOUNDOU

Auteur du Livre « Afrique : Ton développement en question », éditions L’Harmattan (Paris), janvier 2020.

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