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Avant-propos : L’histoire d’une rencontre

« C’était ma mission » est l’histoire d’une rencontre. André faisait partie du corpus des joueurs que j’ai suivis durant mes travaux de thèse sur la socialisation des footballeurs africains en région parisienne[1]. Des heures durant, dans différentes villes européennes, j’ai suivi ces Big men sportifs, continuant à représenter les couleurs nationales sur des terrains moins prestigieux que ceux de leur première vie professionnelle.

J’ai, tout de suite, été frappé par le détachement dont André faisait preuve en conclusion de nos échanges. « Ecoute, je n’ai fait que remplir ma mission » m’a-t-il dit plusieurs fois. Très vite, je lui ai dit que nous tenions le sujet d’un livre biographique. La dimension politique et même militaire de la représentation nationale étaient bien recouvertes par cet assemblage de mots. Or, il m’a toujours semblé que ces dimensions étaient plus importantes en Afrique :

  • La plupart des pays africains se sont affiliés à la FIFA et au CIO au même moment que leur adhésion à l’ONU.
  • Les compétitions africaines, les stades, les victoires portent le sceau ou le nom de « pères de la nation 

En Afrique, cette forme de mise en scène de la représentation nationale, cette euphémisation de la violence (Norbert Elias) ont toujours eu du succès. Elles permettaient à des nations jeunes de créer du lien entre des populations sans vécu historique. Et sur un plan interne, les compétitions fédérales permettaient de rejouer, à travers des clubs, une forme de compétition ethnique, sans conséquences pour la sécurité. Ce sont d’abord les dirigeants issus des bourgeoisies administrative et économique qui en ont bénéficié. Notamment, les présidents de clubs à qui revenaient les honneurs des victoires de leurs clubs.

André appartient à une génération qui a pris le pouvoir dans le narratif sportif. Profitant du développement des médias et de l’assouplissement des conditions administratives pour obtenir un contrat professionnel, ils ont su « représenter la nation » indépendamment de la sélection effectuée par les Big men d’alors. Ceux que Stanislas Frenkiel a identifié comme la troisième génération de footballeurs camerounais en France, ont pu bénéficier des « nouvelles voies d’accès au professionnalisme »[2]. Ils pouvaient avoir des reportages sur leurs performances, sans passer par la sélection fédérale, exister loin de l’équipe nationale. Et contrairement aux générations actuelles qui s’apprêtent à disputer la Coupe d’Afrique des nations, ils avaient un vrai vécu local avant leur expatriation.

Avant de signer à Metz, André avait en effet effectué sept saisons dans les championnats camerounais (deux à Sphinx d’Edéa, deux à Pouma FC, une à l’Union de Douala, deux au Diamant de Yaoundé). Il était champion d’Afrique, avait déjà disputé deux Coupes d’Afrique, une coupe intercontinentale et nombreux tournois internationaux. C’était un joueur expérimenté. Travailler sur sa biographie permettait de revoir des moments qui ont contribué au changement de paradigme. Nous sommes en effet passés d’un sport financé par des Big men et des recettes de stade à un modèle dépendant des droits de télévision, et des transferts. D’une représentation nationale produite de l’intérieur à une captation des richesses (humaines et financières) du système international.

Dans les pages qui suivent, nous traverserons la Sanaga-maritime, département qui a fourni de nombreux internationaux camerounais. Nous vivrons de l’intérieur une part de l’organisation du football de clubs au Cameroun dans les années 1980. Nous toucherons la précarité du statut de footballeur professionnel en raison de son statut d’immigré, puis de la blessure. Et enfin, la construction d’une équipe nationale qui ira jusqu’en quart de finale de la Coupe du monde. Nous le ferons avec un joueur qui s’est invité dans les foyers camerounais à différents titres :

  • il a symbolisé le « hemlé », cet esprit de conquête, cette force mentale dans l’adversité revendiqués par les compatriotes des Lions indomptables.   
  • son nom de famille est associé à l’excellence sportive. Son frère et lui ont été internationaux camerounais, son premier fils également[3]. Et ce sont désormais les derniers qui ont repris le flambeau : l’un en signant à Manchester United, les deux autres étant au Paris SG

J’espère que vous prendrez du plaisir à la lecture et que vous y trouverez des éléments ou des pistes de compréhension de l’homme, des Lions indomptables, et du Cameroun.

Dr Hervé Kouamouo
ISP Nanterre


[1] Kouamouo, H. Devenir et demeurer un Big man sportif. Une enquête sur la socialisation sur les footballeurs africains. Thèse de Doctorat d’Etat soutenue à l’Université de Paris Nanterre le 8 janvier 2024

[2]  Le chercheur Stanislas Frenkiel identifie quatre phases dans l’histoire de la migration camerounaise, mais que l’on peut élargir aux autres pays d’Afrique : les professionnels par accident (1954-1964), quitter le Cameroun pour travailler (1964-1985), les nouvelles voies d’accès au professionnalisme (1985-1997), « sortir à tout prix » du Cameroun dans les années 2000 (depuis 1997). Frenkiel, S. (2012). La permanence de la condition d’immigré sportif africain. Une socio-histoire des footballeurs professionnels camerounais en France (1954-2010). Histoire Sociale, XLV(90).

[3] Jean- Armel a été professionnel (368 rencontres disputées) et international camerounais (7 sélections)

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