Les rêves ne sont pas le propre de Martin Luther King ; ils sont avant tout ceux du commun des mortels. Et en tant que tel, j’en ai aussi, et le mien semble accessible pour peu qu’il y ait de la volonté politique et moins de silence coupable ou complice de la part notamment de la société civile. Mon rêve : le rêve d’un Cameroun nouveau, j’aillais dire d’un Camerounais nouveau qui renouvelle le Cameroun d’aujourd’hui, celui qu’on veut segmenter, qu’on a communautarisé à outrance, et qui pourrait tout simplement devenir un Cameroun éclaté, toute chose expliquant la demande insistante d’une fédération. En somme, un retour en arrière pour ceux connaissant notre histoire politique, une panacée pour les chercheurs de raccourcis ou de solutions non dénuées d’arrières pensées, avant tout politiques ou hégémoniques se construisant et se nourrissant d’autres idées reçues tribales, tribalistes, du rejet ou de la peur injustifiée de l’autre. Parce qu’il diffère de moi, il est  tenu pour l’ennemi que l’on voudrait, à son tour éloigner, des places privilégiées autour de ce que l’on considère, à tort, comme la mangeoire nationale plutôt qu’un héritage commun à faire croître et à transmettre indivisis aux générations futures formées d’enfants solidaires.

Mais il se trouve que nos choix de société actuels pourraient briser cette solidarité générationnelle tant nécessaire à la construction de la nation camerounaise car ils marquent nos enfants au fer. En effet, on les incline non pas à se projeter avant tout comme Camerounais mais comme autochtones ou allogènes ; le terme approprié serait allochtone, mais la vulgarisation du monème « allogène » révèle tout le contenu du subconscient de ses utilisateurs, le dédain ou le rejet de l’autre camerounais, dont on fait finalement un étranger dans son propre pays. L’approche semble manichéenne. En tout cas, il s’agit d’une atteinte à la fragile citoyenneté camerounaise, celle justifiant l’institution de la République que nos héros nationaux, aujourd’hui aux oubliettes, ont appelée de tous leurs vœux au prix de leur vie. De fait, ces concepts introduits en 1996 sont la porte ouverte au repli identitaire, à la force du préjugé. Or le préjugé ne trouve pas une explication suffisante dans la raison pure, et par conséquent a besoin pour être expliqué que l’on fasse appel à des clichés, à la caricature facile globalisante dont les effets sont généralement préjudiciables pour toutes les victimes. Ainsi, Untel est riche parce qu’il ne paye pas ses impôts, l’autre l’est également parce qu’il pique dans les caisses de l’Etat. A certains, on aurait laissé l’économie et d’ailleurs n’excellent-ils au final que dans du bayam-selam. A d’autres reviennent les leviers de l’Administration, les mauvaises langues arguent même qu’ils ne pourraient prétendre à mieux pour exister. Dans ces conditions comment construire un projet commun, celui ne dissociant pas le bonheur individuel du bonheur commun, si nous sommes occupés à nous épier constamment ou à rendre l’autre responsable de nos malheurs. L’économie ou l’Administration ne saurait être la chasse-gardée de quiconque ; la liberté d’entreprendre s’y oppose de même que l’égalité devant les charges ou les fonctions publiques sans autre distinction que le talent individuel. Quant à la politique, elle ne saurait être réduite à un privilège, le privilège de ceux exerçant une fonction gouvernementale ou toute autre assimilée. Elle est bien autre chose, une mission, une charge au service d’un projet commun, celui libérant des nuages sombres du présent et éclairant l’avenir. Construire cet avenir participe du rôle primordial de l’Etat, rôle passant par l’élaboration et la mise en œuvre de solutions idoines aux difficultés susceptibles d’entraver l’émergence du sentiment national. Le meilleur moyen, dit-on, c’est le vouloir vivre collectif. Concrètement, le métissage me semble être le moyen primordial ; en clair, créer un Camerounais nouveau transcendant les tribus pour éloigner du tribalisme, nos instincts primaires. Pour qui en doute, souvenons-nous que pendant le génocide rwandais, les modérés étaient en majorité ceux se sentant à la fois Hutu et Tutsi  souvent par les liens du mariage, ou de parenté même lointains avec des membres de l’une ou l’autre communauté qu’on a longtemps opposé. Fort heureusement, et c’est un espoir, notre jeunesse s’ouvre plus que par le passé à l’autre ; l’amitié, les mariages, les sentiments qu’ils éprouvent sont spontanés et connaissent moins les barrières tribales. Au politique d’encourager et d’accélérer ce mouvement vecteur d’une paix durable, car cette mixité sociale serait de nature à briser les tentatives d’appropriation de l’Etat par une minorité agissant par le jeu de l’exclusion des autres. Or, en excluant, notamment par les recrutements, les concours ou la nomination, on nourrit la frustration, on prépare une bombe à retardement dont l’explosion imploserait le Cameroun non plus uniquement entre anglophones et francophones mais notamment entre supposés autochtones et allochtones ; la signification dévoyée du premier terme a engendré le second, alors même que le premier participe de la volonté de la communauté internationale de protéger les Pygmées et les Mbororo, nos seuls autochtones. Une pédagogie est donc nécessaire à une nouvelle dynamique de la conscience collective, une politique moins communautaire irait dans le même sens. 

La politique telle qu’elle est faite aujourd’hui donne à penser que l’on mettrait en avant un Cameroun des communautés pour l’appréhender comme un instrument de pérennité au pouvoir. Dans ces conditions, l’Etat unitaire tel que le politique le fait fonctionner pervertit, fait souffrir, accable d’innombrables servitudes un nombre important de Camerounais. Mais, en même temps, la société telle qu’elle a été faite, mal faite, ferait échouer la fédération. Devant autant de frustration et de repli identitaire, d’exclusion, elle ne pourrait être la forme d’Etat adaptée au développement de l’intérêt général et à la coexistence pacifique de la population camerounaise. On surestime donc les qualités de la forme de l’Etat espéré en sous-estimant la force de l’esprit, l’esprit du régime actuel répandu à la fois chez les « intellectuels » et l’homme ordinaire, et qui se résume dans les formules lapidaires « le Cameroun, c’est le Cameroun », « on va faire comment ? »  Autrement dit, on a construit notre normalité ; celle-ci voudrait qu’on trouve normal chez nous ce qui est anormal ailleurs, ce qui ne doit et ne peut se faire dans un Etat normal ; c’est cet esprit qu’il faut déconstruire car il sape la cohésion de l’Etat unitaire actuel et ne disparaitrait pas par lui-même seulement parce que ledit Etat serait devenu une fédération. Et puis a-t-on cerné tous ces contours? Par exemple, quel serait le statut de nos villes cosmopolites dans cette structure fédérale? La région autonome disparaitrait-elle ou alors serait-elle une communauté de citoyens ou une communauté tribale ? A quelle communauté appartiendrait un Camerounais né dans le Mungo de parents bamiléké, eux-mêmes nés à Nkongsamba mais ne connaissant que cette ville ? De même, à quelle communauté appartiendrait le Camerounais né des parents originaires de deux régions différentes ? Autant de situations de nature à engendrer des injustices qu’il n’appartient pas à l’Etat de créer.

Dès lors, plutôt que de revendiquer la fédération, il semble plus à propos de s’attaquer à la cause des effets néfastes actuels. Pour commencer, osons au moins pointer du doigt, pour s’indigner, la patrimonialisation du pouvoir politique, le dévoiement ou la tropicalisation de l’intérêt général en conséquence de l’impunité, le reflux du principe démocratique, la désignation d’un ennemi commun à l’ensemble des autres communautés.

Pr WANDJI K.

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