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Chine 2024, Adieu la croissance, Bienvenue la sécurité ou voici pourquoi la Chine a décidé de ne plus se faire duper par les Etats-Unis

Le 5 mars 2024, c’était l’ouverture de la session annuelle de l’organe législatif national de la Chine (le Parlement de la République Populaire de Chine).

L’élément majeur de cette première journée a été marqué par le discours très attendu du numéro 2 du pouvoir chinois, le Premier ministre, Li Qiang, prononcé devant près de 3.000 représentants venus de toute la Chine.

Dans ce discours, il a été surtout question de sécurité que d’économie, que de croissance.

Li Qiang a insisté sur la sécurité en répétant dans son discours ce terme à 28 reprises, alors que le mot « croissance » n’est cité que 20 fois dans son discours d’une heure.

OU EST DONC PASSEE L’ECONOMIE ?

Dans le discours du Premier ministre Li Qiang hier mardi 05/03/2024, ce dernier a dit que la Chine voulait transformer son modèle économique pour obtenir davantage de performances, tout en assurant le “bien-être de la population”.

Il a insisté sur les objectifs plus qualitatifs et une meilleure productivité que doit viser désormais en ciblant particulièrement certains secteurs clé, comme l’aviation, la médecine, les télécom, le spatial.

De quoi s’agit-il ?

La Chine ne veut plus être l’usine du monde.

La Chine veut se re-inventer pour devenir autre chose de meilleure pour le bien-être de sa propre population, très loin de la course à la croissance et au moins cher à tout prix que nous avons connu jusqu’aujourd’hui.

C’est ce que Xi Jinping avait appelé : retour aux fondamentaux, retour à l’idéologie, c’est-à-dire, l’idéologie communiste de l’humain au cœur du projet de société des politiciens.

Comment la Chine qui a profité des investissements américains et européens pour s’enrichir peut déclarer tout d’un coup qu’elle ne veut plus de cette manne-là ?

Conséquence :

En 2022, l’année du discours de Xi Jinping, qui siffle la fin de la recréation au XXème Congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) les capitaux étrangers entrés dans le pays étaient de 400 milliards.

L’année dernière, la première année de mise en application de la nouvelle stratégie de Xi Jinping de mettre l’homme au cœur de sa politique et non plus la course à la croissance et aux investissements, les capitaux étrangers entrés en Chine ont été de 33 milliards de dollars, “soit une baisse de 82 %, et le chiffre annuel le plus bas depuis 1993”, d’après les dernières données diffusées par l’Administration d’État chinois des changes, rapportées par le quotidien financier britannique, The Financial Times, dans un article intitulé :

“Foreign direct investment in China falls to lowest level in decades”

Source : https://www.ft.com/content/bcb1d331-5d8e-4cac-811e-eac7d9448486

En réalité, il ne s’agit pas d’une manne, mais d’une division mondiale du travail, où l’Occident est au centre du jeu et tous les autres doivent rester à la périphérie, y compris la Chine. Dans ce jeu, fait surtout de manipulation de l’information, la victime doit être heureuse de son sort, convaincue que c’est la meilleure chose qui peut lui arriver.

Jusqu’au jour où elle comprend l’arnaque et décide de ne plus jouer la part qui lui est attribuée.

Il y avait dans ma faculté d’Economie et Commerce à l’Université degli Studi de Perugia en Italie, un cours que j’aimais beaucoup et qui s’appelait : « Comment mentir avec les chiffres », un chapitre du cours de Statistiques.

Je vais prendre un exemple des plus flagrants pour vous expliquer comment les Etats-Unis mentent avec les chiffres dans ses relations avec la Chine.

LE FAUX DEFICIT COMMERCIAL ENTRE LES ETATS-UNIS ET LA CHINE

Mercredi le 7 février 2024, Voici un extrait de la publication des données du Bureau of Economic Analysis du département américain du Commerce

  • Pour la première fois depuis 2003, les États-Unis ont importé plus de biens en provenance du Mexique (475,6 milliards de dollars) que de Chine (427,2) l’an dernier.
  • Après avoir atteint son niveau le plus élevé en 2022 (537 milliards), la valeur des importations américaines de biens chinois a connu une baisse de 20 % entre 2022 et 2023.
  • Le déficit commercial avec la Chine s’est quant à lui contracté de 27 %, passant de 381 milliards en 2022 à 279 l’an dernier — soit son niveau le plus bas depuis 2010.

Tous ces chiffres sont faux naturellement. Et je vais vous expliquer comment on les construit afin de les rendre crédibles et leur faire dire ce qu’on veut.

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, prenons, les explications de quelqu’un qui s’y connait en commerce international : Pascal Lamy, né le 8 avril 1947 à Paris. Haut fonctionnaire et homme politique français, il est diplômé de l’École des Hautes Études Commerciales (HEC) de Paris, de l’Institut d’Études Politiques (IEP) et de l’École Nationale d’Administration (ENA).

Il a été : Commissaire européen pour le commerce du 13 septembre 1999 au 22 novembre 2004 et surtout, pour ce qui nous intéresse pour notre analyse d’aujourd’hui, Pascal Lamy a été Directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de septembre 2005 à août 2013.

En novembre 2011, devant ses amis du mouvement Notre Europe, il déclare :

“La part de la valeur ajoutée d’un iPad faite en Chine est de l’ordre de 5 % pour la Chine, et pour plus de 20 % aux Etats-Unis”. “Ce qui compte, ce ne sont pas les déséquilibres bilatéraux tels qu’ils sont mesurés par les valeurs brutes des exportations et des importations dans les statistiques douanières, mais la valeur ajoutée qui est réalisée à l’occasion de ces flux”. En réévaluant de la sorte les échanges, le déficit sino-américain serait réduit de moitié, conclut-il.

Vous n’avez rien compris ?

Oui je le sais.

Je vais vous prendre une autre source, c’est l’hebdomadaire économique britannique The Economist du 21 janvier 2012 qui titre ainsi :

“iPadded – The trade gap between America and China is much exaggerated”
AMERICA’S trade deficit with China hit another record last year. Estimated at almost $300 billion, it made up over 40% of America’s total deficit. Yet official data grossly overstate US imports from China.

(iPad ajouté – Le déficit commercial entre l’Amérique et la Chine est très exagéré

Le déficit commercial de l’AMÉRIQUE avec la Chine a atteint un nouveau record l’année dernière. Estimé à près de 300 milliards de dollars, il représentait plus de 40 % du déficit total américain. Pourtant, les données officielles surestiment largement les importations américaines en provenance de Chine.)
Source : https://www.economist.com/finance-and-economics/2012/01/21/ipadded

The Economist nous explique que toutes les composants de l’Ipad sont fabriquées aux Etats-Unis, en Corée et au Japon et la Chine se contente de les assembler et du prix de l’Ipad de 275 dollars aux Etats-Unis, la China n’a que les 2% de cet argent, c’est-à-dire, 5,5 dollars. Tous les restants 269,5 dollars sont distribués aux Etats-Unis.

Mais ce que vous ne savez pas, c’est que pour amener les Chinois à croire par erreur qu’ils deviennent riches grâce au déficit américain, dans les statistiques de la douane américaine, on va écrire que la Chine a vendu aux Etats-Unis pour 275 dollars par Ipad. Il suffit ensuite de faire le total des Ipad expédiés de la Chine vers les Etats-Unis et de multiplier cette quantité par 275 dollars et voilà, le jeu est fait. Les Chinois pourront remercier les Etats-Unis de leur avoir acheté pour ce montant total brut.
C’est encore pire pour les Iphone, en procédant de la même manière.

Et c’est à ce jeu-là que Xi Jinping ne veut plus jouer. Et qui fait que l’année dernière en 2023, il y a une chute vertigineuse des investissements étrangers en Chine. Xi Jinping ne veut plus qu’on se serve du savoir faire de sa population pour enrichir l’Occident.

Il préfère de loin qu’il y ait moins d’investissement, mais pour les secteurs qualitatifs, que des étrangers viennent en Chine pour recourir à une main d’œuvre super-qualifiée et non plus pour les petites mentions où la Chine ne gagne rien du tout, sinon, qu’elle ne sert qu’à enrichir les autres.

Si sur 275 Dollars de l’Ipad, elle n’encaisse que 5,5 dollars, alors, Xi Jinping préfère ne plus les fabriquer sur son sol, et permettre aux universités chinoises de se concentrer pour trouver d’autres voies pour leur développement et donc, pour leur croissance à venir. Surtout que c’est la sueur de ces ouvriers chinois qui contribuent à doter les Etats-Unis des capacités financières fortes pour soutenir les dépenses militaires américaines pour ensuite être utilisées contre la Chine dans un probable duel pour reprendre Taiwan.

COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?

La haine manifeste d’une coalition de 40 pays occidentaux contre la Russie et leurs 13 trains de sanctions économiques pour détruire l’économie russe, selon les propres mots des dirigeants occidentaux sont passés par là.

Alors que pendant longtemps, depuis 1993, la Chine commettait la même erreur de Gorbatchev, le dernier président l’Union Soviétique en voyant ses relations avec l’Occident de façon romantique et fraternelle, la multiplication des hostilités occidentales contre la Chine a fini par convaincre cette dernière que les Etats-Unis ne renonceront pas à leur rôle d’hégémonie mondiale, sans passer par un rapport de force qui risque d’être une confrontation militaire.

En 2008, avant le déclenchement de la crise financière américaine, la Chine avait des réserves en dollars de 2 000 milliards de dollars, et détenait les bons du Trésor américain pour une valeur de 518 milliards, soit 19,3 % du total. Faut-il aider ou non l’ami américain pour le sortir de la mauvaise passe de la crise financière qui risque de la détruire pour longtemps ? C’est l’épineuse question à la quelle les dirigeants chinois doivent répondre et très vite.
Que vont décider les autorités chinoises ?

En février 2010, deux ans après les faits, l’ancien secrétaire du Trésor américain Hank Paulson écrit un livre intitulé «On the brink », dans lequel il nous dit que la crise commence avec la faillite de la banque américaines Lehman Brothers, tout simplement parce que les britanniques l’ont fait couler. Paulson révèle que Alistair Darling, le ministre des Finances britannique avait empêché le rachat de Lehman Brothers par la banque britannique Barclays, poussant ainsi à la faillite la banque qui va déclencher la plus grave crise financière en Occident, depuis celle de 1929.

Mais pour notre analyse du jour et la question de savoir ce que les Chinois ont décidé de faire, si aider les Etats-Unis ou les laisser tomber, Paulson écrit autre chose qui nous intéresse beaucoup. Il écrit qu’il a été mis au courant d’un plan russe alors qu’il était à Pékin pour les Jeux olympiques en août 2008, tel que rapporté par le quotidien financier britannique, le Financial Times.
Paulson écrit :

«Des responsables russes ont approché les Chinois au plus haut niveau, proposant de vendre leurs parts dans les GSE (Government-sponsored enterprise), comme Fannie Mae et Freddie Mac, des GSE, soutenues par l’Etat américain, pour obliger les Etats-Unis à mettre en place un plan d’urgence pour sauver ces entreprises». (…). «Les Chinois ont refusé de prendre part au plan de perturbation, mais la nouvelle était très troublante» conclut Paulson.

Même si cette nouvelle a depuis lors été démentie en 2010 par Dmitri Peskov, à l’époque, porte-parole du Premier ministre russe Vladimir Poutine, en déclarant ceci, cité par l’agence Interfax :
«Tout cela n’est rien de plus que des inventions. Il n’y a rien eu de tel», on peut tout de même constaté qu’alors qu’en 2007, la Chine détenait les bons de trésor américains pour 518 milliards de dollars, en 2010, un an avant le déclenchement de la guerre de l’Otan contre la Libye, la Chine possédait pour 1440 milliards de dollars de bons du trésor des Etats-Unis. La Chine avait aidé les Etats-Unis à sortir de la crise.

Malheureusement, il n’y a jamais eu ni de remerciement, encore moins de gratitude, de reconnaissance. Mais beaucoup d’ingratitude.

En 2010, la Chine devient le premier partenaire commercial du continent africain avec une augmentation des échanges entre l’Afrique et la chine de plus de 40% pour atteindre 127 milliards de dollars. Au même moments, l’aide de la Chine à l’Afrique est de près de 150 milliards de dollars, c’est-à-dire, supérieure au volume d’échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique. Ce qui ne plait pas à Washington.

Le 11 juin 2011, à Lusaka en Zambie, première étape de sa tournée africaine, de cinq jours qui l’a vue parcourir successivement la Zambie, la Tanzanie et l’Ethiopie, la Secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton avait mis en garde les Africains contre les risques de nouveau colonialisme venant de Chine.

Durant sa rencontre avec le président zambien Rupiah Banda, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton met en garde tous les pays africains contre la nouvelle forme de colonialisme chinois en ces termes :

« Il est facile, et nous l’avons vu pendant la période coloniale, de venir, de prendre les ressources naturelles, de verser de l’argent aux dirigeants et s’en aller. Et quand vous partez, vous ne laissez pas grand-chose derrière pour les gens qui sont présents. Nous ne voulons pas voir un nouveau colonialisme en Afrique »

« Nous voulons une relation de partenariat, pas de patronage, durable et pas constituée de solutions vite faites. Nous voulons établir une fondation solide et attirer de nouveaux investissements, ouvrir de nouvelles entreprises, créer plus d’emplois, et cela dans un contexte d’éthique et de responsabilité des entreprises ».
“Nous ne voulons pas voir un nouveau colonialisme en Afrique” (…) “Nous ne voulons pas voir (les investisseurs) saper la bonne gouvernance en Afrique.”

“Nous commençons à observer beaucoup de problèmes” en Chine qui ne feront que s’aggraver au cours des dix prochaines années. “Il y a plus de leçons à tirer des Etats-Unis et des démocraties”

L’Afrique doit prendre garde au “nouveau colonialisme” incarné par la Chine ?

Hillary Clinton ment en direct aux africains lorsqu’elle dit que « les investissements chinois en Afrique, ne concernent que les élites, et ceux des Etats-Unis, sont en revanche durables et réalisés au bénéfice du peuple africain ».

Personne à l’époque en Afrique, n’a compris comment les routes, les hôpitaux, les centrales hydro-électriques offertes par la Chine à l’Afrique seraient pour les élites, alors que l’argent donné par les Etats-Unis pour payer les fonctionnaires africains seraient plus durable et destiné aux populations.

Hillary Clinton compare le modèle économique américain et chinois et incite le peuple africain à choisir les Etats-Unis, parce que selon elle, leur modèle « libère le potentiel des peuples » alors que le modèle de développement chinois « met tout le monde dans le même moule ». Or, conclut-elle, « les jeunes africains ne vont pas accepter qu’on leur dise quoi faire, comme l’ont démontré les révoltes dans les pays arabes ».

Qui a dit à madame Clinton que la colonisation consistait à « prendre les ressources naturelles, de verser de l’argent aux dirigeants et s’en aller » ?

Durant plus de 130 ans d’hégémonie américaine sur le monde, pourquoi ont-ils eu besoin d’attendre que la Chine arrive avant de venir expliquer aux Africains tous leurs bonnes intentions ?

En janvier 2009, l’équipe d’Obama dont faisait partie madame Clinton, a hérité du United States Africa Command (Africom), le nouveau commandement militaire exclusivement dédié à l’Afrique entré en activité trois mois auparavant, et conçu au cours des mandats de George W. Bush ; en quoi cela a-t-il aidé l’Afrique a résoudre ses problème de développement ? Sans oublier ceux de la sécurité crées par les Etats-Unis avec sa guerre en Libye ?

Vendredi le 29 septembre 2012, le président américain Barack Obama bloque par décret présidentiel, l’achat par des entreprises chinoises de fermes éoliennes aux Etats-Unis, en invoquant des raisons de sécurité nationale.

Dans son décret, le président américain affirme que des entreprises liées à des ressortissants chinois “pourraient prendre des mesures qui menaceraient d’attenter à la sécurité nationale des Etats-Unis” et leur a donc interdit d’acheter quatre fermes éoliennes situées dans l’Oregon, en vertu d’une loi datant de 1950.

Le département du trésor des Etats-Unis dans un communiqué publié le lendemain, détaille le décret présidentiel en disant que Ralls, entreprise inscrite au registre du commerce dans le Delaware, était la “propriété de Chinois” et “liée à une société de construction chinoise qui fabrique des éoliennes”.

C’est dans ce contexte qu’arrive au pouvoir en Chine, en 2013 un certain Xi Jinping, qui a suivi la séquence précédente de son prédécesseur Hu Jing Tao qui a commis les mêmes erreurs que Gorbatchev en Russie. Mais il joue le jeu.

Au lieu de donner toute l’aide de la Chine à une seul pays, les Etats-Unis avec 1440 milliards de dollars, il décide d’en créer un développement global et faire profiter le monde entier, contribuant ainsi à asseoir la leadership chinoise. Il crée pour cela l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie, qui sont boycottés par les pays occidentaux.

L’arrivée au pouvoir à Washington par Donald Trump qui remplace Obama en 2017, va exacerber les tensions entre la Chine et les Etats-Unis. Ce sont les entreprises chinoises qui sont ciblées accusées sans preuve d’espionnage, comme Huawei

La Première Ministre Italienne, Giorgia Meloni à peine arrivée aux affaires en 2023, va annuler l’adhésion de son pays à l’initiative Une Route une Ceinture, signée à peine 2 ans auparavant, en 2019, par le gouvernement précédent. Les pressions de Washington ont suffi pour empêcher le seul pays membre du G7, à faire partie de cette initiative de développement global sous le guide de la Chine.

En 2018, Huawei, compte 195.000 employés et est présent dans plus de 170 pays. C’est le premier équipementier mondial pour la 5G.

Jean-Paul Pougala

Mercredi le 6 mars 2024

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