Je ne savais pas que certains médias français faisaient aussi dans le « complotisme », la tare congénitale de ceux qui doutent de tout, tout le temps ou qui voient les complots partout, l’insulte suprême adressée à ceux qui refusent de prendre pour argent comptant le discours officiel sur certains événements troublants. Attention ! L’usage du terme complot, même au sens étymologique, est aujourd’hui dangereux et disqualifiant, surtout dans la société du spectacle. Je suis abasourdi, pas complètement, de voir des journalistes, sans compétence – ce n’est ni injurieux ni méprisant – sur le dossier du Rwanda recourir à de vieilles notes connues de la DGSE, les services secrets français, pour « révéler » des noms de pseudo-suspects de l’attentat du 6 avril 1994 à savoir Théoneste Bagosora (encore lui) et Laurent Serubuga. 
Le premier, considéré par l’ensemble de la presse française comme le cerveau du « génocide » a été certes condamné par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) mais aussi et surtout reconnu comme n’ayant jamais été le cerveau de quoi ce soit, ni dans l’attentat du 6 avril 1994, ni dans le génocide. Le second, retraité depuis 1992, n’était plus militaire à la date du 6 avril 1994 et n’a jamais utilisé un missile de sa vie. Même les juges du TPIR qui l’ont interrogé ont vite abandonné tout soupçon à son endroit considérant qu’ils embrassaient le registre des ragots des bistrots de Kigali.
Aujourd’hui, des « complotistes », souffrant d’hutuphobie aiguë, se réveillent et tentent une énième fois d’attribuer à des Hutu qu’ils voient dans la rue ou qui sont déjà en prison pour autre chose, tous les crimes du Rwanda et même les accidents de la circulation ou d’avion à Kigali. Dans un fake news qui ne fait pas honneur à la profession, ils prétendent, sans trop y croire eux-mêmes ou en y croyant trop, que Théoneste Bagosora et Laurent Serubuga seraient désormais responsables d’un complot contre le président Juvénal Habyarimana. Même le rapport du 7 avril 1994 de la CIA est plus prudent que ces messieurs des médias français. Ce rapport affirme ne pas savoir si c’est la « hard line Hutu » des FAR, les rebelles du FPR ou quelqu’un d’autre qui aurai(en)t tué les deux présidents rwandais et burundais en date du 6 avril. Celui du Département d’Etat américain du 6 avril 1994, signé par la diplomate Prudence Buschnell, dit que l’attentat a été commis, d’après plusieurs rapports par des “auteurs inconnus”.
La bouffonnerie et la fabulation n’ont plus de limite chez certains journalistes qui répètent des insanités depuis 20 ans sur la tragédie rwandaise. Ils n’enquêtent pas mais ils savent. Le procureur de Paris, ayant requis un non-lieu dans la procédure en cours, sans dire qui sont les auteurs de l’attentat, permet à des journalistes sans aucune expertise sur ce dossier de jouer aux fanfarons. Les derniers convertis brandissent à l’appui de leur prétendu « scoop » un vieux papier, mal inspiré, de la DGSE. Il s’agit d’une note de commérages, truffée d’approximations et d’erreurs factuelles, qui fait suite ou s’inspire d’une autre note produite par la même DGSE le 22 septembre 1994. Rédigée vraisemblablement par un agent tombé, sans glisser, dans les bras ou sur la perruque d’une hirondelle du FPR comme l’avait déjà constaté Pierre Péan en scrutant d’autres notes de la DGSE sur le Rwanda, elle égraine la fable des Hutu « complotistes » ou « frustrés » qui auraient assassiné Habyarimana. Aucune enquête ni recherche sérieuse ne vient corroborer ces divagations. 
Même Paul Kagame, qui a supervisé l’action des assassins d’Habyarimana et qui hait les Hutu à en tuer par millions, n’a jamais eu l’outrecuidance d’exhiber ce papier ou tout autre de la DGSE. Quant aux juges qui enquêtent depuis 1997 sur ce dossier -même ceux du TPIR- ont disqualifié ces allégations. Il est donc étrange que la France, qui est accusée à longueur d’années par la presse française pour son rôle présumé dans le génocide, soit aujourd’hui devenue, par la « trouvaille » d’un papier bidon de la DGSE, une source crédible. Quand on s’essaye dans la propagande officielle de la tragédie rwandaise, il est encore préférable de demander à Kigali ce qu’il convient d’écrire plutôt que de faire les poubelles de la DGSE. A ce rythme, il ne serait pas inutile d’envisager sérieusement de recourir à des « spin doctors » du Rwanda pour venir former des journalistes français à l’investigation. C’est un programme qui pourrait d’ailleurs bénéficier d’un financement de l’Union Européenne. 
C’est vrai que le niveau a un peu baissé, si j’en crois tout ce qu’ils ont écrit sur Laurent Gbagbo de 2004 à 2011, mais de là à se prévaloir des plus mauvais papiers de la DGSE pour faire du journalisme, c’est presque désespérant. Ce fake news sur Bogosora et Serubuga est vraiment nauséabond et purulent. Il ressemble plutôt aux histoires d’armes chimiques de Saddam Hussein que certains assénaient à l’époque avec effronterie en se faisant passer pour des journalistes importants. Il est malheureux de traiter, avec une telle légèreté, un acte criminel où deux chefs d’état africains et leurs collaborateurs ont perdu la vie. Si certains peuvent encore enfumer les Gilets Jaunes, qui affichent désormais leur mépris pour les médias français en général, il sera plus difficile de faire accepter à de nombreux Africains le complotisme des « méchants Hutu » qui seraient les « cerveaux » de tout, même du pillage de minerais, des viols ou des massacres en République Démocratique du Congo. Quand on perd sa dignité à ce point, il vaut mieux changer de métier si c’est encore possible.
Charles ONANA
Politologue

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