La faillite de FTX, l’un des géants américains du marché des cryptomonnaies, le 11 novembre dernier, a mis en lumière un vaste système d’escroquerie mêlant spéculation, détournement de fonds et trafic d’influence, qui implique notamment le Parti démocrate américain. Mais elle est surtout révélatrice de l’immense bulle financière qui a gonflé depuis dix ans, sous l’effet de la « diarrhée monétaire » des banques centrales, et qui menace aujourd’hui d’éclater, dans le contexte du resserrement des taux d’intérêts.

Lors de sa première déclaration au tribunal des faillites, le nouveau patron de l’entreprise américaine en faillite FTX, John Ray III, a déclaré qu’en 35 ans de carrière (Ray avait pourtant été le superviseur de la liquidation spectaculaire du géant énergétique Enron), il n’a « jamais vu un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d’une entreprise ».

Ce qui ressort des informations disponibles à ce jour est un incroyable enchevêtrement de fraude financière, de vol et de corruption politique. Apparemment, la bourse de cryptomonnaies FTX a toujours eu pour but de canaliser de l’argent pour des campagnes politiques, tantôt du parti démocrate, tantôt du parti républicain.

Si ce financement n’était pas un secret (FTX était le deuxième donateur du parti démocrate après George Soros), les parents de son PDG, Sam Bankman-Fried, auraient également joué un rôle actif dans l’affaire. Sa mère, Barbara Fried, professeur de droit à l’université de Stanford, dirige un comité d’action politique douteux (Mind the Gap), ayant transféré à des candidats démocrates plusieurs millions de dollars des dons anonymes, provenant surtout d’investisseurs de la Silicon Valley. Quant à son père, Joseph Bankman, professeur de droit et de politique publique, il aurait été un conseiller constant de son fils et l’aurait poussé à déposer le bilan de la société.

Apparemment, il existe des éléments prouvant qu’une autre société de Bankman-Fried, Alameda, a volé de l’argent aux clients de FTX pour son propre fonctionnement. A cela s’ajoute l’allégation selon laquelle l’argent collecté à titre d’aide à l’Ukraine, aurait également été détourné dans des campagnes politiques. Ainsi, selon le député républicain Paul Gosar, FTX aurait reçu « des millions de dollars » de citoyens américains désireux d’aider l’Ukraine, et cet argent aurait été blanchi puis « recyclé comme investissement dans FTX, qui l’a ensuite reversé aux démocrates ».

En effet, en mars dernier, FTX avait lancé un portail en ligne pour des dons en cryptomonnaies destinés à l’Ukraine, et a déclaré au bout de quelques semaines avoir recueilli 60 millions de dollars en cryptomonnaies, qui seraient convertis en argent puis utilisés pour livrer des armes et des équipements militaires à l’armée ukrainienne. Or, dans les sept mois qui ont suivi, aucune somme d’argent significative n’a été donnée à la cause. Ce qui est assez difficile à croire, surtout quand on sait que les milliards de dollars volés par Bankman-Fried aux clients de FTX, par l’intermédiaire d’Alameda, semblent avoir disparu…

Il reste donc bien des questions qui attendent des réponses. L’argent de FTX a-t-il financé des campagnes politiques ? L’argent collecté pour l’Ukraine a-t-il servi, lui aussi, à financer ces mêmes campagnes, ou plutôt des activités que le gouvernement américain préfère garder secrètes ?

Éclatement de la bulle des GAFAM

Quoi qu’il en soit, la liquidation de FTX le 11 novembre a provoqué une véritable panique bancaire, entraînant l’ensemble des cryptomonnaies dans la plus grave crise de leur histoire. Sur un an, par exemple, le bitcoin – la crypto la plus emblématique et la plus populaire – a fondu de 74 %. Des millions de petits boursicoteurs découvrent que leur argent investi dans l’affaire, en plus de s’être évaporé, a alimenté un vaste système d’escroquerie.

Que ces institutions s’embarquent dans une escroquerie à peine cachée en dit long sur l’état de délabrement morale du système financier. Cela relève presque de la rupture anthropologique, se désole l’économiste Rémi Bourgeot.

Et si certains voudraient cantonner le problème à la planète crypto, la réalité est que l’incendie s’est déjà répandu dans l’ensemble de l’économie de la tech. Après une multiplication par dix du cours du Nasdaq (les valeurs « technologiques » américaines) en dix ans, nourrie par l’orgie de liquidités créées par les banques centrales, la valorisation des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) s’effondre, sous l’effet combiné de la guerre en Ukraine, de l’inflation et surtout de la hausse des taux.

Comme le rapporte le magazine Marianne, en un an, Amazon a perdu la bagatelle de 1000 milliards de dollars (soit l’équivalent de 45 % de l’ensemble du CAC40 !) ; dans le même temps, Méta, la maison-mère de Facebook, a vu s’évaporer 520 milliards (la moitié du PIB des Pays-Bas), Google a perdu 326 milliards (le PIB de la Finlande), Apple 512 milliards (50 fois la valeur de Renault) et Microsoft 805 milliards (14 ans de budget de l’Éducation nationale). Un brutal retour sur le plancher des vaches qui a déclenché de vastes plans de licenciements, principalement de l’autre côté de l’Atlantique, avec 130 000 emplois détruits dans le secteur de la tech en 2022.

En France, les dégâts ne sont pas encore aussi visibles qu’aux États-Unis, la grande majorité des entreprises du secteur n’ayant pas l’obligation de publier leurs comptes, tels que les 27 licornes françaises – ces start-up valorisées à un milliard de dollars, et dont se gargarise Emmanuel Macron. Le calme avant la tempête ? En tous cas, l’une d’entre elles, Swile, qui dématérialise les tickets-restaurants, a préféré dévoiler ses pertes en septembre dernier, qui s’élèvent à 41 millions d’euros pour l’année 2021 – pas mal pour une société dont le chiffre d’affaire n’est que de 11 millions, en dépit des millions injectés par des investisseurs…

De son côté, la Banque centrale européenne tire la sonnette d’alarme, dans sa Revue de la stabilité financière de novembre, contre l’arrivée d’un krach financier. En bon pompier-pyromane, elle prévient que si elle persiste dans sa politique de resserrement monétaire, des « ajustements désordonnés » pourraient survenir, et si elle ne le fait pas, l’inflation échappera à tout contrôle. « Les probabilités de récession à un an ont nettement augmenté, tant dans la zone euro que dans les autres grandes économies avancées », constate-t-elle.

Comme nous le défendons ici, seul un changement des règles du jeu permettra de sortir de ce dilemme infernal — planche à billets et hyperinflation versus resserrement monétaire et krach financier : cela implique la mise en faillite ordonnée du système de la City de Londres et Wall Street, ainsi que de leurs appendices dans le monde, sous contrôle des États, et l’établissement d’un système de crédit public donnant la priorité aux projets d’économie réelle, c’est-à-dire à l’ingénieur, à l’ouvrier, à l’enseignant, au soignant, etc, et non plus au spéculateur, au show business man, au footballeur, et à l’animateur télé sans cervelle.

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