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Affaire Baba Ahmadou Danpullo : Le Cameroun est-il devenu une république bananière pratiquant la filouterie financière ?

(texte)

Affaire Danpullo, la suite…

Epilogue du 5 janvier 2024 :

Le 22 décembre 2023, le premier président de la cour d’appel du Littoral, Emmanuel Arroye Betou, désavoue le tribunal de première instance (TPI) de Douala-Bonanjo dans l’affaire Baba Ahmadou Danpullo en ordonant : “un sursis à exécution” (suspension) de la décision du juge Quentin Djapité Ndoumbe faisant injonction à certaines banques de saisir les comptes de MTN Cameroun et Chococam.

Beaucoup de gens n’ont aucune idée de ce qu’une banque peut leur faire s’ils ne remboursent pas leurs dettes.

La Banque Mondiale établit un barème de la solidité des système bancaires par pays appelé “Score de Règlement de l’insolvabilité” qui ressort le pourcentage de recouvrement des crédits. Pour l’année 2019, le Cameroun est de 36% alors que le Canada c’est 80% et la moyenne de l’OCDE est de 74%.

Ce score dépend de la rigueur des lois du pays pour taper fort sur les mauvais payeurs, sur les débiteurs insolvables.

Après s’être tapé sur les doigts par la Banque Mondiale, à cause de ce ce mauvais score, le Cameroun a adopté une nouvelle loi la même année pour rendre pénal le non remboursement du crédit.

Désormais en plus de vendre tous vos biens connus ou cachés, la banque peut obtenir d’un tribunal de vous envoyer en prison, sans qu’on cherche à savoir si votre insolvabilité est de bonne ou mauvaise foi.

Pour améliorer ses performances dans le classement de la Banque Mondiale et donc des Agences de Notation (qui fixent le taux d’intérêt auquel les bailleurs de fonds prêtent leur argent aux pays), en Arabie Saoudite et dans tous les pays du Golfe, si votre entreprise déclare la faillite et donc que vous ne pouvez pas rembourser vos dettes à la banque, avant de commencer à vendre tous vos biens connus ou cachés, vous passez d’abord par la case Prison.

Tout cela pour décourager les petits malins qui espèrent surestimer la valeur de leurs biens pour tromper la vigilance de la banque.

C’est là où beaucoup de gens sont si contents de recevoir le crédit de la banque qu’ils oublient de bien lire ce qu’ils signent pour découvrir qu’en cas d’insolvabilité même d’une seule traite, la banque est non seulement libre de vous demander la totalité de son argent, mais pire, qu’elle ne va jamais se contenter des biens que vous aviez mis en garantie, parce qu’elle sait que les clients surestiment leurs valeurs, mais elle fait semblant de ne pas le savoir, puisqu’elle sait qu’en cas d’insolvabilité, elle peut puiser dans tous vos biens.

Car, si elle retient que vous avez menti sur leurs valeurs réelles, elle n’aura aucune difficulté à obtenir l’autorisation d’un tribunal pour saisir la totalité de vos biens et de les vendre et s’il y a un surplus, c’est déposé au tribunal. Et aucun pays n’est totalement laxiste sur ce sujet. A 36%, même le Cameroun montre à la Banque mondiale qu’elle fait des efforts en pénalisant (rendre pénal = aller en prison) l’insolvabilité avec les banques.

La Banque n’est vraiment pas votre amie ! Parce qu’elle remportera tout bras de fer contre vous, puisque c’est elle qui fait les lois et les parlements se contentent de les voter.

JPP26/06/2023

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Monsieur Ahmadou Danpullo se trouve en Afrique du Sud et peut bénéficier d’un crédit de 20 milliards de FCFA, sur la base des accords de l’OMC qui stipulent que le seul tribunal compétent pour juger tout litige lié à cette créance est et reste celui du pays du créancier.

C’est le créancier qui tient la bonne marche du système capitaliste, puisque c’est lui le possesseur du capital. Je vais revenir dessus plus loin.

Mais d’ici là, arrêtons-nous un instant sur cette loi qu’a appliqué le tribunal sud-africain et le camerounais juge raciste et xénophobe et nous allons voir qu’elle sera déterminante pour comprendre le cœur de cette leçon.

Elle s’appelle : Insolvency Act et elle a été adoptée et publiée le 24 juin 1936. Cette date est importante pour comprendre la suite de la leçon.

Non pas parce que nous sommes en plein système de l’apartheid quand les noirs n’ont aucun accès au crédit, et donc, que cette loi que Ahmadou Danpullo juste raciste a été conçue et appliquée des milliers de fois contre les Blancs.

Mais cette date nous intéresse, pour des raisons philosophiques, idéologiques qui fixent les règles du jeu et que les africains se mettent à jouer sans prendre suffisamment le temps de les connaitre.

Ahmadou Danpullo se dit victime d’« un complot » et d’« une croisade raciste », et pense que le seul recours pour le recouvrement de son argent, saisi en Afrique du Sud « est de faire pratiquer une saisie conservatoire des créances sur les comptes des sociétés MTN Cameroon et Chococam (…) ou toute somme détenue par des tiers pour le compte desdites sociétés ».

En procédant de la sorte et en faisant ce genre de déclaration, Ahmadou Danpullo a beau être le plus grand milliardaire de l’Afrique francophone, mais il démontre qu’il n’a toujours pas compris à quel jeu il a joué jusqu’ici et qui l’a propulsé à ce poste du numéro 1.

Avant de prendre les 20 milliards de Francs CFA, Ahmadou Danpullo a signé beaucoup de papiers. Et l’un de ces papiers était justement qu’il se soumettait totalement à la Insolvency act de 1936 et en cas de litige, seule cette loi, qui n’est-là que pour protéger le créancier, reste valable.

Il a signé, il a eu l’argent. Il était tout seul et pas accompagné de tous les Camerounais. Il a été le seul à en jouir et pas le Cameroun qu’il incite maintenant à la croisade contre un pays frère, l’Afrique du Sud.

Et s’il avait lu et compris les règles du jeu, il ne se comporterait pas comme il le fait, car aucun juge camerounais, ne fera jamais rien pour changer ce que les juges sudafricains auront décidé sur la base de cette loi du 24 juin 1936.

Qu’est-ce que Ahmadou Danpullo n’a pas compris des règles du jeu qui me font vous répéter tous les jours : la Banque n’est pas votre amie ?
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L’histoire commence avec le penseur allemand Karl Marx (1818-1883), qui interprète le système capitaliste comme un antagonisme entre le capital et le salaire, entre le patron et l’employé.

Dans cette vision, pour Marx, « le développement repose sur la capacité des capitalistes à dégager une épargne préalable (abstinence), qui est automatiquement transformée en investissement productif ».

Le patron est celui qui est capable de pratiquer l’abstinence financière pour économiser et épargner l’argent qui lui permet d’être au-dessus des autres parce que grâce à cet argent, il va acheter les moyens de production de la richesse.

Et puis, au 20ème siècle arrive un autre penseur qui fixe les bases du nouveau capitalisme. Il s’agit d’un Tchèque. Il s’appelle Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950). Le hasard a voulu qu’il naisse l’année de la mort de Karl Marx.

Il amende Karl Marx et interprète le capitalisme plutôt comme « un processus continu d’innovation et de destruction créatrice » au cœur duquel se trouve un arbitre, le vrai patron, c’est la banque.

Pour Schumpeter, le capitalisme se base sur l’innovation et pour qu’il y ait innovation il faut donner à des opérateurs économiques la faculté de : « s’endetter à des fins productives, en contrepartie d’une dynamique d’anticipations de richesses futures. La création de surplus et la formation de profits futurs conditionnent cette logique d’endettement. C’est là l’esprit même du capitalisme. »
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ERREUR N° 3 :

Oublier que c’est le créancier seul qui fixe les règles et les conditions de remboursement de son argent, dans la vraie bataille du capitalisme qui oppose l’entrepreneur à son patron, le possesseur de son capital, la banque.

Pour obtenir le prêt de 20 milliards de Franc CFA, l’homme d’affaire camerounais s’est volontairement soumis au respect d’une loi en particulier, la Insolvence Act. Vous rappelez-vous encore la date de cette loi sur l’insolvabilité que l’homme d’affaire camerounais a signé et s’est engagé de respecter ? 1936 ! Ou mieux, le 24 juin 1936.

Et tout ce que je vous dis jusqu’à maintenant est tenu par Schumpeter dans son livre écrit en 1935. Et que tous les pays occidentaux ont lu avant de décider des lois sur ce que l’auteur appelle : « la vraie guerre du capitalisme sera non plus entre l’entrepreneur et le salarié comme disait Marx, mais entre l’entrepreneur et le vrai patron, qui lui a prêté l’argent, le banquier ».
Page 151 :
Et si Marx avait prévu dans la guerre entre l’entrepreneur et le salarié, le gagnant sera forcément l’entrepreneur, Schumpeter anticipe que c’est le banquier qui sera toujours le gagnant. Parce que, « L’introduction du crédit confère au capitalisme des propriétés très particulières. Notamment, elle le dote d’un levier permettant la redistribution des ressources productives en direction de l’entrepreneur » [Schumpeter, 1935, page 151].

Page 99 :
« En effet, l’octroi de crédits aux entrepreneurs, en générant la hausse des prix des moyens de production par une pression exercée sur la demande, conduit à un transfert de ces ressources vers les emplois nouveaux. (…) c’est la capacité de la créance bancaire à modifier les activités réelles et à les détourner au profit de l’innovation. (…) l’émergence des entreprises innovantes et le changement qualitatif ne peuvent naître que d’une certaine forme de contrainte imposée par la monnaie (créance bancaire) : “Il est […] évident que la méthode propre à la forme “capitaliste” de l’économie consiste à contraindre l’économie nationale à suivre de nouvelles voies, et à faire servir ses moyens à de nouvelles fins: la chose est assez importante pour servir de critérium spécifique à cette forme économique […]” [J.A. Schumpeter, 1935, p. 99].

« L’octroi de crédits aux entrepreneurs agit comme un ordre donné à l’économie nationale de se soumettre aux desseins de ce dernier » [J.A. Schumpeter, 1935, p. 153].

Donc, une banque ne prête pas l’argent à un privé pour en faire ce qu’il veut, mais pour se doter des moyens de production et contribuer à renforcer l’économie nationale.

Selon Schumpeter, la force motrice du capitalisme repose sur l’endettement et la prise de risque, à travers une dynamique très précise, celle de l’anticipation des profits futurs.

Sauf qu’ici, si l’entrepreneur s’endette, ce n’est pas lui qui prend le risque, mais celui qui a mis son argent dans son aventure, sans même être certain si cela aboutira, la banque.

Et c’est le jour que cela n’aboutira pas que ce vrai patron sortira de ses réserves pour demander des comptes.

Parce qu’en fournissant à l’entrepreneur l’argent, c’est-à-dire, le capital financier, la banque assume le rôle de capitaliste, puisque c’est elle qui s’est engagée dans un risque de contrepartie.

Page 131 :

« Si l’entrepreneur s’endette, c’est bien parce qu’il pense réaliser des gains grâce à l’innovation ; en même temps, la banque ne prend en charge le financement du projet, que dans la mesure où elle espère voir l’entrepreneur honorer sa dette et, avec le profit qu’il aura retiré de son investissement, lui rembourser moyennant le paiement de l’intérêt. Ce faisant, la banque s’engage dans un risque de contrepartie lié à l’innovation, qu’aucun agent n’est prêt à assumer par ailleurs.

En quelque sorte, en fournissant le capital financier, la banque devient le capitaliste et le système bancaire dans son ensemble, apparaît comme la structure institutionnelle qui socialise le risque de l’innovation.

Le crédit concédé par les banques confère aux entrepreneurs une permission sociale de puiser dans les richesses économiques présentes, afin de créer les conditions d’une apparition de richesses futures. Cette permission n’est évidemment ni gratuite, ni automatique. D’une part, les banques deviennent créancières des entreprises innovantes et opèrent ainsi un mode de contrôle sur leur capital. D’autre part, elles se rémunèrent par le taux d’intérêt.

Le conflit (marxiste) de répartition entre salaires et profits, est remplacé par un autre conflit naissant de la disponibilité du capital financier et du partage profits/intérêts. La confrontation entre l’entrepreneur et le banquier s’apparente à l’un des “conflits typiques et fondamentaux” de l’économie capitaliste ».
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En conclusion, la troisième erreur de l’homme d’affaire camerounais a été de ne pas comprendre que dans le système capitaliste, c’est le créancier qui fixe les conditions pour récupérer son argent et non le débiteur. Parce que c’est lui seul qui structure le système.

ERREUR N° 4

Ne pas comprendre qu’être même le fils ou l’ami du chef de l’état ne peut le priver de payer sa dette et en cas de défaut de paiement, ne peut pas le sauver de la spoliation organisée du système capitaliste.

Sans le système bancaire et le crédit, le système capitaliste ne tiendrait pas debout une seule seconde. C’est pour cela qu’on peut tout tolérer dans ce système, mais pas toucher à la dette des gens et surtout sans rien en retour.

C’est lorsque le Barack Obama est devenu président des Etats-Unis qu’il a vendu son livre autobiographique parlant de son papa kenyan qu’il a eu un succès en librairie qui lui a permis de terminer sa dette estudiantine qu’il trainait depuis 30 ans, sans réussir à rembourser.

Aux Etats-Unis, en 2023, il y a 43 millions d’américains qui trainent avec eux un fardeau de la dette que les parents avaient contractée pour financer leurs études et qu’ils n’arrivent pas à rembourser.
Joe Biden a promis en campagne électorale de l’annuler s’il devenait président des Etats-Unis.

Mais ce n’est que le 28 février de cette année 2023, que la Cour suprême des Etats-Unis s’est penchée sur la légalité pour le gouvernement américain d’annuler une partie de la dette.

Le montant est astronomique : près de 43 millions d’Américains ont des crédits étudiants fédéraux à rembourser pour un montant global de 1 630 milliards de dollars, la montagne des dettes contractées pour aller à l’école.

Et la cour suprême des Etats-Unis se penchait sur la légalité de la proposition du gouvernement non pas d’effacer la dette, mais de rembourser à la place des emprunteurs, la sommes de 400 milliards des 1630 milliards de dollars, pour les plus pauvres que les diplômes tant vantés par les universités très chères n’ont pas parmi de trouver un bon boulot comme promis avant le début des études.

A la fin du mois d’août 2022, le président américain Joe Biden avait commis l’erreur en annonçant imprudemment qu’il veut effacer 10 000 dollars de l’ardoise des emprunteurs gagnant moins de 125 000 dollars par an, et 20 000 dollars pour les anciens boursiers.

En une seule semaine, 26 millions de dossiers ont été déposés, selon la Maison Blanche, avec une facture globale d’environ 400 milliards de dollars à payer par l’état.

En dehors de la Chine qui efface les dettes de certains pays africains insolvables sans rien leur demander en retour, aucune dette privée ne s’efface, parce qu’il s’agit toujours des épargnes des citoyens qui ont pratiqué l’abstinence, pour rendre disponible leurs économies et que les autres ont utilisées pour financer leurs études.

Qu’ils n’arrivent pas 30 ans après la fin de leurs études à trouver un bon travail capable de générer un revenu supplémentaire pour rembourser leurs dettes estudiantines, n’est pas le problème du créancier.
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L’intégralité de la leçon est disponible avec le texte intégral de 56 pages de la Insolvence Act de 1936 signé par le sieur Danpullo sur www.pougala.net.

Jean-Paul Pougala

Lundi le 26/06/2023


Epilogue du vendredi 5 janvier 2024 :

  • Le 30 mai 2023 : le juge de référé au Tribunal de première instance (TPI) de Douala-Bonanjo, Eyango Dibobe Epoupa, SCB, décide que les banques Ecobank, UBA et Afriland doivent reverser dans un compte désigné au greffe les montants cantonnés sous astreinte de 100 millions de Fcfa par jour de retards. MTN parle de tentative de braquage.
  • Le 13 juin 2023 : un communiqué du ministère sudafricain des Relations internationales et de la Coopération déplore cette “tentative de braquage” ainsi :
    « Malheureusement, ces derniers développements vont remettre en cause l’intérêt [des Sud-Africains] pour des investissements au Cameroun »,
  • Le 16 novembre 2023 le juge du Contentieux de l’Exécution du Tribunal de Première instance de Douala-Bonanjo, ordonne à Afriland First Bank de “cantonner dans ses livres les sommes d’argent logées dans le compte intitulé Mobile Money Pool Account”.
  • Le 1er décembre 2023, le président du premier syndicat des industriels camerounais, Gicam exprime sa « très vive préoccupation face à une telle décision de justice prise en méconnaissance des règles édictées par le régulateur bancaire dans l’espace CEMAC, en même temps qu’elle fait peser sur la cohésion et la paix sociale, de grands périls.» (…) «Les fonds qui transitent sur les plateformes numériques des opérateurs de réseau et télécommunications appartiennent aux titulaires des comptes de monnaie électronique dans les livres de ces opérateurs qui sont loin d’en être leur propriété»,
  • Le 22 décembre 2023, le premier président de la cour d’appel du Littoral, Emmanuel Arroye Betou, désavoue le tribunal de première instance (TPI) de Douala-Bonanjo dans l’affaire Baba Ahmadou Danpullo en ordonant : “un sursis à exécution” (suspension) de la décision du juge Quentin Djapité Ndoumbe faisant injonction à certaines banques de saisir les comptes de MTN Cameroun et Chococam.

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