A propos de la langue nationale camerounaise

En Afrique au sud du Sahara, peu nombreux sont les pays qui n’ont pas ce qu’il est convenu de nommer langue nationale ou son embryon.  Sans tous pouvoir les citer ici, je pense au Sénégal avec le Wolof, au Zimbabwe avec le Shona, au Mali, dans une certaine mesure, avec le Bambara, au Kenya avec le Swahili, à la République Centrafricaine avec le Sango. Qui dans la diaspora rencontre des ressortissants de ces pays dans la rue observera qu’ils s’expriment généralement entre eux dans ladite langue,  et ne recourent à une étrangère qu’en présence d’un étranger. Mais au Cameroun, deux ou plusieurs camerounais dans une rue de Paris, Londres ou Berlin ne se parlent qu’en Français, Anglais voire Allemand.

Nous devons apprendre et parler les langues étrangères. Elles sont une source d’enrichissement certain. Toutefois, les mots ont bien leur sens : langue ‘’maternelle’’, langue ‘’nationale’’, langue ‘’étrangère’’. Les camerounais ont conscience de ce grave problème. Grave parce qu’il n’existe pas, au sens stricte du mot, de ‘’nation’’ sans langue, nationale.  Au contraire, elle est, cette dernière, un élément de la définition même du mot ‘’nation’’. Quand l’on pense au peuple Ewondo, l’on pense à la langue Ewondo ou se le représente comme la parlant; au Fulbe, au Fulfulde; au peuple Igbo, à l’Igbo; à l’Anglais, à l’Anglais, au Japonais, à la langue japonaise; etc. Et quand l’on pense au peuple camerounais ?…

Si une nation était une personne physique, sur sa pièce d’identité, l’on retrouverait : son nom, son territoire, son âge, sa langue, entre autres éléments d’identification.

Pourtant, s’il est un domaine dans lequel le Cameroun est béni des dieux, c’est bien celui des langues. Pays qualifié d’Afrique en “miniature” où l’on ne dénombre pas moins de 250 langues. Mais, curieusement, aucune n’a droit de cité dans l’espace public ou à la télévision ; ce qui n’est pas le cas dans les pays cités plus haut. Le colonisateur allemand avait jeté son dévolu sur le Duala. Dans les années 50, le choix de l’UPC s’était porté sur le Fulfulde. La suite est connue. Le mouvement nationaliste fut décapité et, avec lui, l’espoir d’une unité nationale et l’instauration d’un véritable apartheid linguistique : Anglophone – Francophone,  une des sources du drame humain en cours dans les régions du Nord et Sud-Ouest.

Des neuf candidats à l’élection présidentielle dont le verdict sera donné dans sept jours, un seul, le Pr Kamto Maurice, propose une solution sérieuse à ce problème. Malheureusement, elle est, sans vouloir choquer, timide. En Indonésie, pays de près de 800 langues, le Malais fut standardisé, choisi comme langue nationale et renommé Indonésien. Le Pr Kamto suggère de ‘’créer’’, par synonymie, une langue à partir d’une structure grammaticale que fourniront des linguistes. L’idée est originale. Mais elle me paraît, si je l’ai bien comprise, quelque peu compliquée, alors que nous pouvons faire plus ‘’simple’’. Supposons que le ‘’Camerounais’’ proposé par le Pr Kamto soit adopté. Le mot ‘’eau’’ aura plusieurs synonymes et pourra se dire : ndiyam, madiba, nshi, malep ou mimpo : frauda-t-il devoir en connaître tous les synonymes dans les plus de nos 250 langues ? Bien sûr que non. Qu’en sera-t-il cependant du dictionnaire de ce ‘’Camerounais’’, combien de mots contiendra-t-il ? L’idée du Professeur est lumineuse, mais je crains qu’elle manque d’atteindre son objectif, éviter de froisser des communautés linguistes dans le pays. Chacune sera légitimement en droit de demander pourquoi tel mot de sa langue n’est pas retenu.

Il est dit que le Duala proposé par les allemands fut rejeté par certains autochtones qui lui auraient préféré la langue du colonisateur, par crainte que les Duala obtiennent tous les postes dans l’administration… C’est une telle ‘’peur’’, infondée, que l’idée du candidat du MRC entend dissiper. Elle peut se  comprendre.

A mon humble avis, notre politique linguistique doit poursuivre un seul objectif fondamental : protéger et sécuriser tout notre riche patrimoine en la matière. Toutes nos langues doivent être listées dans un document officiel avec exactitude, c’est-à-dire, connaître quel est leur nombre précis sur l’ensemble du territoire, de Kousséri à Ambam, de Dimako à Akwaya. Ensuite, elles doivent obtenir une protection constitutionnelle. Et pourquoi ne pas prévoir un tel document en annexe de la Constitution ? Faire de l’usage par tout enfant de sa langue maternelle, celle de la femme qui l’a mis au monde, un préalable à toute inscription à l’école élémentaire, pourrait être, parmi d’autres, un moyen de sauvegarder notre héritage linguistique. Nous avons quatre macro-régions. Dans chacune, nous pourrions adopter une langue régionale, par exemple, le Bulu, le Duala, le Lamnso et faire de la langue la plus parlée dans notre pays, ce qui permettra d’en avoir un grand vivier d’enseignants, d’autant qu’il s’agit d’une qui fait ses preuves, en termes de vivre ensemble et de réduction du tribalisme dans le septentrion, celle de notre vieille et jeune nation : le Fulfulde. L’Anglais est la langue internationale.  Ne pas la conserver serait une erreur stratégique. Il peut en être de même du Français.  Mais nous devons avoir une langue nationale de notre terroir.

Pour comparaison, la langue anglaise a environ 900 ans d’âge. Le Fulfulde est vieux de plus de 6000 ans. Il est véritablement notre ‘’boîte noire’’.

Le Pr. Kum’a Ndumbe III aiment bien nous le rappeler : ‘aucun pays au monde et dans l’Histoire n’a émergé avec une langue étrangère comme langue nationale ou officielle. A cet égard, la Tanzanie devrait nous parler.

Ogolong Ondimoni, JMTV+

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