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A la faveur des récentes déclarations du chanteur Maître GIMS sur l’antériorité des peuples noirs dans les domaines de la science, ainsi que l’annonce par Netflix du prochain film sur une Cléopâtre au teint basané, qui continuent de défrayer la chronique et d’affoler les dépositaires autoproclamés de la vérité historique, le brillant compatriote Jean-Paul Pougala a décidé de se prononcer, dans une orientation pour le moins détonante.

Dans un maniement habile de la langue de Molière, comme à ses habitudes, l’économiste nous fait part de son opinion sous forme de théorie empruntée qu’il se réapproprie en jurant du caractère irréfutable de ses sources.

En clair, Monsieur Pougala prend à partie Netflix et Maître Gims qui ont osé perturbé l’ordre occidental établi, et fustige avec véhémence les africains qu’ils traitent de naïfs et d’affabulateurs pour croire à une Égypte antique noire, qu’il considère comme une fumisterie. Pire, il affirme avec une assurance arrogante que l’Illustre Cheikh Anta Diop et son remarquable travail scientifique de restauration de la vérité historique de l’antériorité nègre des civilisations ne sont que des impostures! Monsieur Pougala a manifestement choisi son camp, et il l’assume.

Une contre-thèse pour quelle légitimité scientifique ?

Première inquiétude dans sa démarche, en dépit de la sérénité qu’elle lui inspire, c’est que l’auteur de cette contre-offensive épistolaire dénonce ce qu’il considère comme des inexactitudes scientifiques et historiques en s’appuyant sur des ouvrages et auteurs qu’il absorbe comme paroles d’évangile. Quelle est la pertinence scientifique de récuser des auteurs et leurs écrits tout en justifiant ses seules allégations par d’autres auteurs et d’autres écrits? Quel crédit intellectuel peut-on raisonnablement attribuer à une telle démarche ?

Autre incongruité que certains critiques sévères pourraient qualifier de malhonnêteté intellectuelle, c’est que l’auteur traite de rêveurs ces Kamites qui selon lui veulent laisser croire que tous les africains descendent d’Égypte antique et que tous leurs ancêtres africains en sont issus. Non seulement il s’agit d’un faux procès, mais d’une mauvaise foi caractérisée, car M. Pougala sait mieux que quiconque qu’aucun esprit sérieux n’a jamais réclamé l’exclusivité de l’Égypte ancienne comme origine de tous les mélanodermes. Il s’offusque par ailleurs de ce que les africains et afrodescendants ne plébiscitent que l’Égypte antique comme origine au détriment des autres pays africains qui ont eux aussi connu de grandes civilisations. J”ai essayé de lui faire entendre raison en lui rappelant que le rapport des afrodescendants à l’Égypte ancienne n’est pas exclusif des autres régions d’Afrique, mais que son caractère particulier s’expliquait par le fait qu’il s’agisse de la dernière référence historique de civilisation africaine ayant atteint ce niveau d’accomplissement, avant que les Perses, les Grecs, les Romains et enfin les arabes n’y sévissent.

Procès contre les kemites et afrodescendants

Dans son texte à charge contre les kemites et les africains en général, M. Pougala s’étonne qu’ils osent revendiquer leur descendance d’une Égypte antique noire, alors que les peuples de la Méditerranée sont des blancs! C’est à ce moment de ma lecture que j’ai failli m’arracher les cheveux que je n’ai pourtant pas, tellement le niveau d’argumentaire est faible et loin d’être digne du respect intellectuel que m’inspire l’auteur. Comment peut-on justifier de l’homogénéité systématique de la couleur de peau de peuples d’il y a plusieurs milliers d’années par le seul fait du partage d’une même zone géographique ? Comment peut-on en arriver à ce type de raisonnement tout en oubliant que les migrations historiques volontaires ou forcées changent nécessairement les composantes démographiques d’une époque à l’autre? Dans mille ans, si certains illuminés improvisés attestaient qu’il n’y a jamais eu de noirs au Brésil du fait de la frontière avec l’Argentine essentiellement blanche, cela ferait-il sens? Et que dire du vestige humain le plus ancien retrouvé sur la terre d’Angleterre, le Cheddar man, qui est parfaitement noir aux cheveux crépus, et dont l’existence remonte à plus de 10.000 ans? Les raccourcis faciles dénués de rigueur scientifique décrédibilisent complètement les essais de démonstration de l’auteur dont les arguments avancés ne sont que des reprises de détracteurs aigris qui avaient déjà vus leurs contradictions battues en brèche sans aucun autre recours plausible. D’où vient l’idée que des reprises d’argumentaires échoués jadis puissent par miracle prospérer?

Netflix et Cléopâtre

Jean-Paul Pougala s’en prend à Neflix et aux disciples de Cheikh Anta Diop qu’il met tous sur le banc des accusés pour falsification historique ! Pour lui, il n’y a pas l’ombre du moindre doute, Cléopâtre était blanche comme neige, et il traite de farfelue l’idée d’une Égypte antique noire, qui selon lui, n’est qu’une maigre consolation que les africains en mal de repères historiques essaient de s’inventer. Hallucinant !

Peut-être plus grave, notre pugiliste nous révèle que Cheikh Anta Diop n’a fait que nous tromper et qu’il s’est d’ailleurs fait humilié lors du Colloque du Caire de 1974 en démontrant l’origine nègre de la civilisation égyptienne à l’origine de toutes les autres civilisations. Il dit aussi s’être ridiculisé lui-même devant ses petits camarades italiens en 1980, lorsqu’à la lumière des ouvrages de Cheikh Anta Diop qu’il croyait encore naïvement, il se glorifiait de la grandeur de ses ancêtres noires d’Égypte avant de se rendre compte quelques années plus tard qu’il s’agissait d’une duperie. Décidément, Jean-Paul Pougala ne s’est pas encore sorti du complexe d’infériorité qui veut qu’on se croit ridicule lorsqu’on adopte une posture contraire à celle du maître blanc.

Jean-Paul Pougala, nous dit alors s’être enfin délivré des ténèbres du mensonge d’une Égypte antique noire, pour accéder désormais à la lumière éclatante de la vérité d’une Égypte antique blanche, que même pas le soleil d’Amon Rê n’a jamais osé bronzer. Et il tient à délivrer à leur tour, tous les noirs naïfs qui croient encore à ces balivernes, d’où son texte qu’il diffuse à volonté, et qui n’est qu’une infime partie de tout un cours à ce sujet qu’il réserve à ses abonnés.

Sans accorder une importance particulière à la polémique sur la couleur de peau de Cléopâtre qui n’est en rien essentielle pour les africains dans la reconnexion à leurs ancêtres, elle est le produit d’un mélange certainement grec et probablement égyptien.

L’imposture inversée

Après lecture de son texte, nul besoin de chercher à s’étourdir davantage avec le cours conséquent qu’il propose. La partie visible de l’iceberg dénote à suffisance des inexactitudes, des approximations et contrevérités produites sous l’effet de l’émotion dans un esprit vindicatif. Le découpage fantaisiste des périodes historiques pour démontrer sa théorie est plus qu’aléatoire et ses seules affirmations dénuées de toute pertinence scientifique ne permettent pas d’accorder le moindre crédit à sa thèse qui n’est structurée que dans sa tête.

Il faudrait peut-être que M. Pougala se souvienne ou apprenne que l’égyptologie date seulement de la fin du 18e siècle, quand les premiers pharaons de l’Égypte unifiée date de plus de 3000 ans avant notre ère. Par ailleurs, l’égyptologie qui naît comme science à la découverte de la pierre de rosette lors de l’expédition égyptienne de Napoléon en 1799, est restée longtemps la chasse gardée des occidentaux, qui dans une logique impérialiste, en pleine période d’esclavage, n’ont aucun intérêt à exposer au monde l’origine nègre de la civilisation égyptienne. D’où le mérite de Cheikh Anta Diop qui a bravé à son époque l’omerta de ce qui convient d’appeler la secte des égyptologues blancs, en démontrant brillamment et courageusement l’origine noire des Égyptiens. Il serait de bon ton que M. Pougala fasse preuve d’un peu d’humilité avant de prétendre contredire Cheikh Anta Diop, qui contrairement à lui, ne s’est pas contenté de parler, mais a démontré scientifiquement sa thèse devant une meute d’égyptologues racistes, et les conclusions du Colloque du Caire attestent qu’aucune opposition valable aux démonstrations de Cheikh Anta Diop n’a été retenue. Anthropologue, sociologue, biologiste, écrivain, philosophe, physicien, chimiste, homme politique, universitaire, Cheikh Anta Diop, est incontestablement le plus grand savant du 20e siècle. Il faut être amnésique ou intellectuellement instable pour ne pas s’incliner devant ce grand homme et son œuvre, tant l’Afrique et ses peuples, où qu’il se trouvent, lui doivent tout.

Ne pas se laisser distraire

En somme, seuls des esprits fébriles peuvent succomber à la séduction du texte de Jean-Paul Pougala qui se veut à charge contre les kemites et afrodescendants qui réclament leur ascendance de la civilisation plurimillénaire d’Égypte antique, tant l’auteur se perd dans une foultitude d’amalgames. Il n’y a strictement aucun crédit à accorder à une prétendue révélation qui n’est qu’une caisse de résonnance des dogmes racistes portés depuis des siècles par un groupuscule d’illuminés qui nous imposent de les percevoir comme les détenteurs de la pensée unique universelle. Il n’est pas non plus raisonnable de croire une clique de prédateurs aux ordres qui n’ont aucun intérêt pour l’émancipation des peuples africains qu’ils ont traité de biens meubles à travers le Code noir de Louis XIV en 1685. Comment ne pas croire Cheikh Anta Diop qui s’est sacrifié pour l’Afrique, pour faire triompher la vérité, malgré, les humiliations, l’adversité et les complots au péril de sa vie? Comment prêter la moindre attention aux élucubrations de Jean-Paul Pougala, quand on se souvient que le savant grec Herodote, que les occidentaux eux-mêmes présentent comme le premier des historiens, décrit il y a 450 ans avant notre ère, les égyptiens comme étant noirs aux cheveux crépus? Et que dire des textes de Jean-François Champollion, le premier dans l’histoire à décrypter les hiéroglyphes et considéré comme le père de l’égyptologie, et qui abonde comme d’autres scientifiques dans le même sens ? Les premiers pharaons de l’Égypte antique comme leurs peuples étaient tous noirs, issus du même peuple et partageant la même culture que les kouschites de l’actuel Soudan, comme l’attestent les vestiges culturels des deux pays, vérifiables jusqu’à nos jours. Les premiers pharaons non égyptiens, les Ptolémées issus de Macédoine, apparaissent seulement 323 ans avant notre ère, après les premières invasions Perses en -525. Le règne des Ptolémées se terminera avec la Reine Cléopâtre en -30, pour céder le trône aux Romains dont le règne s’achèvera au 7e siècle lors de la conquête de l’Égypte par les arabes, qui seront eux-mêmes remplacés par les Ottoman au 15e siècle, marquant ainsi la fin de l’empire romain d’orient. Toutes ces invasions successives expliquent le métissage progressif des peuples d’Égypte, victimes d’agressions diverses de peuples étrangers et prédateurs, fascinés par sa civilisation ayant atteint un niveau de sciences et de connaissances unique au monde. Même l’appellation “Égypte” provient des envahisseurs, le nom d’origine étant “Kemet” qui signifie “Pays noir” ou “Pays des noirs”. Comme toute personne raisonnablement constituée peut le constater, il faut une bonne dose de mauvaise foi pour s’entêter à véhiculer la fable d’une Égypte antique autre que noire, au regard de l’infinité d’éléments factuels qui ne font que confirmer cette évidence historique.

Pougala prend encore exemple sur l’Occident, qui l’inspire manifestement plus que tout, qui, contrairement aux africains, pense-t-il, ne s’enferment pas dans une glorification passéiste d’une grandeur déchue. Énième fausse route pour lui, l’Occident tire bel et bien sa gloire de ses références permanentes à son passé. D’Alexandre Legrand, sa Grèce antique et ses savants à Napoléon Bonaparte en passant par Jules César ou Louis XIV, toutes ces références sont déchues et pourtant constituent des repères historiques occidentaux incontournables.

Il ne faut surtout pas se laisser distraire. L’héritage scientifique et littéraire de Cheikh Anta Diop est plus que précieux et doit être enseigné dans les écoles partout en Afrique pour accélérer la décolonisation de la pensée collective africaine dont certains n’en veulent pas, parce qu’encore nostalgiques de la tutelle occidentale qu’ils veulent pérenniser. Quelle que soit la violence des vents contraires à l’exposition de la vérité historique trop longtemps falsifiée, nous avançons sereinement dans cette noble mission d’éveil des consciences, et nous réjouissons du nombre chaque jour croissant des affranchis des dogmes pernicieux des illuminés autoproclamés de la sainte pensée unique universelle.

Paul ELLA,
Analyse Financier, Géostratège
Président d’African Revival

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