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27 avril 2024

© jmtvplus.com et Afrocentricity.info

M. Jacky Moiffo et Dr. Yves Ekoué AMAÏZO

TITRE : FAUT-IL REMBOURSER LA DETTE AFRICAINE ENVERS L’OCCIDENT ?

Journaliste :                       M. Jacky Moiffo (JM),

Journaliste et documentariste JMTVplus.com, Paris en France.

Invité et Interview :       Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, (YEA),

Directeur général, Afrocentricity Think Tank,  Vienne en Autriche

Emission du Jeudi 18 avril 2024 par Zoom et studio Paris

Diffusion : Samedi 27 avril 2024

Source de l’analyse : Rappel de l’article d’Anna Cabana, Journal en ligne la Plasturgie, 7 avril 2024.

Cabana, A. (2024). « Dette en Afrique : Voici le classement des pays les plus endettés auprès de la France ». In www.laplasturgie.fr. 8 avril 2024. Accédé le 15 avril 2024. Voir https://www.laplasturgie.fr/dette-en-afrique-voici-le-classement-des-pays-les-plus-endettes-aupres-de-la-france/

Lieu de l’émission : www.jmtvplus.com

Contact : contact@jmtvplus.com  et info@afrocentricity.info 

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YEA. La dette est une obligation financière qui pèse sur une personne physique ou morale. Il s’agit d’une somme d’argent due par un débiteur à un créancier. Elle est généralement née d’un contrat pour lequel le débiteur a reçu au préalable une contrepartie. C’est un acte créateur de droit.

Mais attention, quand on dépense plus que ce que l’on a et surtout quand la contrepartie de l’endettement ne génère pas de retour sur l’investissement effectué, il y a mal-gouvernance. La dette devient une conséquence de cette mauvaise gestion. Si l’opération se répète, cette dette devient structurelle et permanente. L’application des taux d’intérêts fait que le principal de la dette, créateur de droit pour le créancier, prend la forme d’un remboursement étalé dans le temps, le fameux service de la dette. Le cumul du principal et du service de la dette conduit souvent à une dette souveraine non soutenable. Le droit créé au profit du créancier a pour effet de générer une dépendance, qui met en cause l’indépendance et la souveraineté d’un Etat.

Alors s’il faut rembourser des dettes qui n’ont pas de contreparties pour les populations et sont les produits de la corruption et des corrupteurs, il est possible de parler de dette illégale, et d’envisager de ne pas payer cette dette inique.

YEA. En 2022 et selon les statistiques de la Banque mondiale[1], avec une population de 1,196 milliards habitants et un revenu global de 1.957 milliards de $EU, l’Afrique subsaharienne cumulait une dette totale de 833 milliards de $EU. Autrement dit, 43 % des revenus de l’Afrique subsaharienne devraient être transférés pour solder la dette subsaharienne « immédiatement ». Or, ce n’est pas ce qui se passe.  Il y a un service de la dette, soit 4 % des revenus de cette région servent à rembourser partiellement la dette.

Aujourd’hui, avec une dette totale de l’Afrique subsaharienne de 833 milliards de $EU, il importe de noter la répartition : 38 % de dettes multilatérales, 20 % de dettes bilatérales et 42 % de dettes privées.

Dans la part de la dette bilatérale, la part de la France est de 2 %, la Chine représente 11 %, et l’Inde, 1 %, et 6 % constituent les autres bilatéraux. Dans la part de la créance privée, on trouve 14 % de la dette commerciale, essentiellement les banques commerciales, et 28 % les détenteurs d’actifs financiers.

La différence entre le service de la dette et la valeur représentant la dette globale servent principalement à neutraliser la marge économique, la capacité d’influence et donc le pouvoir décisionnel des dirigeants africains. On assiste en fait à un véritable contrôle, une véritable dépendance envers les créanciers. Ces derniers ne se gênent d’ailleurs pas à rappeler que ce sont ces créances qui justifient leurs ingérences permanentes dans les affaires africaines, même quand le dossier africain ne les concerne pas. La dette demeure élevée parce que les taux d’intérêts appliqués et les projets choisis ne permettent pas de générer des recettes pour rembourser. Mais la corruption par des corrupteurs explique aussi le niveau élevé de la dette africaine. Il y a comme une « forme d’arrangements » entre le créancier et l’endettement pour que cette dette ne s’éteigne jamais.

Or pour que cela fonctionne, il faut avoir en Afrique des dirigeants qui acceptent de se ranger du côté des créanciers. Soit, ils le font par incompétence ou ignorance, soit pour des raisons alimentaires ou encore de conservation du pouvoir en Afrique. Ils sont considérés comme des traitres à l’Afrique et travaillent en fait pour des intérêts étrangers et contre le Peuple africain.

  • JM. N’y a-t-il pas une forme d’injustice même dans les statistiques que vous citez, notamment lorsqu’elle proviennent des institutions de Bretton-Woods ?

YEA. Je voudrais d’abord rappeler que dans la présentation des statistiques sur la dette par les institutions de Bretton-Woods, les pays occidentaux les plus endettés sont souvent omises pour éviter les comparaisons directes avec les pays africains. Lors de surendettement, cela évite de faire des comparaisons entre les mesures radicales prises contre les pays africains et celles, souples, prises en faveur des pays riches occidentaux, notamment ceux du G7.

Mais encore plus injuste lorsque l’on se réfère au risque pays, c’est que le taux d’intérêt appliqué aux Etats africains suite aux « notes » des agences de notation, conduit inéluctablement à ne pas pouvoir accéder au marché international des capitaux, ou de n’y accéder que sur la base de taux d’intérêts excessivement élevés. Il faut savoir que si le dirigeant du pays africain est un « ami » des Occidentaux, publics comme privés, la note affectée à son pays est moins sévère, parfois ne reflète pas la réalité de l’endettement réel.

Les pays du G7, ayant un niveau de surendettement bien supérieur à celui d’Etats africains, bénéficient de taux d’intérêts extrêmement avantageux. Cette politique du « double standard » génère une grande inégalité entre les taux d’intérêts servis aux pays riches du G7 et les pays africains en général. Aussi, une partie de la dette est générée uniquement à partir de taux d’intérêts usuriers, injustifiés, injustes.  Avec un système vicieux de restructuration et de rééchelonnement de la dette, il y a une forme d’injustice que perpétuent les institutions de Bretton-Woods.

YEA. Les trois pays africains les plus dépendants de la France au 6 décembre 2023 sont : 1/ Maroc (3 105,63 millions d’Euros); 2/ Egypte (1 583,60 millions d’Euros) ; 3/ Côte d’Ivoire (1 483,05 millions d’Euros). Le Maroc représente à lui tout seul 18 % de la dette totale du continent envers la France[2]. Cette dépendance économique se traduit mécaniquement en des ingérences plus ou moins visibles en termes de capacité d’influence et des dépendances en termes de souveraineté.

Mais la France n’est pas le seul « principal » créancier bilatéral des pays africains. Si cela est vrai pour les pays francophones ou membres de la zone franc, les dirigeants africains ont diversifié depuis longtemps leurs créanciers, notamment avec les pays émergents. La Chine est le premier créancier bilatéral de l’Afrique et n’est pas membre du « club de Paris », un club des Occidentaux où la dette se renégocie, se restructure et se rééchelonne en fonction de conditions politiques et de pertes de souveraineté.

Rappelons pour mémoire que la France créancière des pays africains cumule une dette de 3.100 milliards d’euros, soit 110,6 % du PIB au 26 mars 2024, soit un déficit public de la France, (qui correspond à la différence entre le total des dépenses publiques et celui des recettes collectées par les impôts et taxes au cours d’une même année) de 154 milliards d’euros en 2023, soit 5,5% du produit intérieur brut (PIB) [3]. La France dépense plus qu’elle ne gagne[4], ce depuis plus de cinquante ans où en 1974, le budget français était à l’équilibre. Pour 2023, les seuls intérêts de cette dette – à savoir la charge de la dette – représentaient plus de 50 milliards d’euros, moins que les dépenses pour l’armée française (64 milliards d’Euro), et plus que les dépenses pour la transition écologique et la cohésion des territoires (41 milliards d’Euro). Cette charge de la dette, s’accroit mécaniquement avec des taux d’intérêt de plus en plus élevés. Les agences de notation ne vont pas tarder à dégrader la note française. De fait, la France aurait dû subir les « contrecoups » des plans d’ajustement structurel du FMI, mais il n’en est rien. En cela, une grande injustice existe fondée sur une politique de deux poids, deux mesures en fonction de votre capacité d’influence.

Au plan régional, la dette de la zone Franc envers la France en 2022 s’élevait à 5,98 milliards d’euros, soit environ 3 918,4 milliards de FCFA avec une part importante pour les huit pays de l’UEMOA avec 3,73 milliards d’euros, contre 2,24 milliards d’Euros pour la CEMAC[5].

YEA. En ce qui concerne la balance commerciale entre la France et l’Afrique, les données varient en fonction des pays et des régions. Par exemple, en 2022, la France a enregistré un excédent commercial avec l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) de 2,3 milliards d’euros.

Par contre, il est vrai que la balance commerciale et la balance des paiements entre la France et les pays africains sont structurellement déficitaires aux dépens des Etats africains. La France gagne structurellement dans ces échanges, plus ou moins imposés. Il s’agit d’une relation basée sur des échanges inéquitables.

Mais cette dette accumulée se négocie sous la forme dépendance accrue et soutient pour un maintien au pouvoir des dirigeants avec des élections sans vérité des urnes. Pourtant la France se présente comme un champion des Droits de l’Homme et des élections libres et transparentes. On peut citer comme exemple le Togo et le Tchad où l’appui de la France a été déterminant dans le maintien des dirigeants au pouvoir. Les droits humains cèdent face aux intérêts de la France.

  • JM. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe une sorte de passage obligé d’un développement passant par une approche des institutions de Bretton Woods, notamment le FMI et la Banque mondiale. Mais en regardant dans le rétroviseur des 60 dernières années, cette approche pro-occidentale n’a-t-elle pas conduit l’Afrique vers des impasses et surtout des dépendances ? Avec des croissances des économies africaines ralenties ou mal-utilisées sur le terrain. S’agit-il d’un cercle vicieux ?

YEA. De manière générale, le problème des institutions financières de Bretton Woods (FMI et le Groupe de la Banque mondiale) est de s’assurer que les plans d’ajustement structurels reposent sur des prêts conjoncturels ou sectoriels à répétition, sans que pour autant, les prêts ne résultent en des projets générant suffisant de retour sur investissement pour rembourser la dette engagée. Cela occasionne, de fait, un renouvellement de la dette sous forme de restructuration ou rééchelonnement avec des taux d’intérêts usuriers.

Oui, c’est un cercle vicieux dans lequel certains dirigeants sont aussi responsables, notamment en ne limitant pas la corruption, ou l’impunité dans les affaires publiques et privées. Cette approche pro-occidentale a effectivement conduit l’Afrique vers des impasses, un cercle vicieux de la pauvreté, de la mendicité et de la dépendance. C’est cela qui est contesté par des voies démocratiques au Sénégal, ou par des coups d’Etat dans les pays comme le Burkina-Faso, le Mali et le Niger. La croissance des économies africaines est bien au rendez-vous si l’on compare la croissance économique de l’Union européenne. C’est la mauvaise utilisation des fruits de la croissance économique sur le terrain qui pose problème et génère ce cercle vicieux dont vous parlez.

YEA. Alors pour sortir de la dépendance économique, il faut un changement de mentalité, le développement des infrastructures dont l’énergie et l’eau, et surtout une marge économique, donc transformer localement et consommer local. Mais, il faudra aussi valoriser les regroupements régionaux au plan économique.

L’industrialisation et le développement des capacités productives, commerciales et logistiques y compris avec la digitalisation sont des passages obligés. Mais, une gouvernance éthique épuré de la culture de la corruption et de l’impunité oblige à procéder à un changement graduel des partenaires. L’Afrique souveraine, se détache Nord Global, principalement les pays occidentaux du G7, pour opter pour des partenariats avec les pays du Sud Global, notamment les pays membres du BRICS élargi. La Russie, pourrait servir d’effet de levier pour rééquilibrer les balances commerciales et de paiement. Cela permettrait aussi d’améliorer le pouvoir d’achat et assurer des services plus efficaces en matière de santé, éducation, et mise à niveau en technologies.

  • JM. Je reviens sur l’endettement. Pourquoi les pays africains préfèrent-ils emprunter aux puissances occidentales en bilatéral et aux institutions de Bretton-Woods (FMI et Banque mondiale) et peut-être moins souvent à une institution de financement africaine, je pense à la Banque africaine de développement ?

YEA. Attention, aucun pays africain ne préfère emprunter aux puissances occidentales ou au FMI/Groupe de la Banque mondiale de gaîté de cœur. Pour la France, il y a des accords secrets qui n’ont pas été abolis liant certains pays avec la France en termes militaires, financiers et même de ventes obligatoires de leurs produits à la France. Ce fut le cas de l’uranium au Niger par exemple, ce à des prix unilatéralement décidés par la France. Avec le changement de pouvoir, il y a des corrections qui se font.

Quant au FMI, c’est l’asphyxie financière d’un Etat qui le conduit à aller devant une institution de prêt en dernier ressort. Les conditions draconiennes et non adaptées de redressement cachent en fait une volonté d’appropriation des richesses africaines.

La réalité est que tous les pays occidentaux soumettent leurs prêts destinés à l’Afrique aux conditions draconiennes du FMI. C’est un système d’encerclement des économies africaines. Pour s’en sortir, il faut pouvoir maîtriser son territoire ou son espace vital et stopper les intrusions de mercenaires assimilés à des terroristes. Mais il faut aussi avoir des alliances en dehors du Nord Global et surtout mettre à niveau les capacités technologies et entrepreneuriales pour qu’une classe moyenne émerge si possible dans la transformation des matières premières locales pour un marché d’abord de proximité avant l’exportation.

Les pays africains empruntent au Groupe de la BAD. Mais la BAD n’est pas un système homogène. Il y a par exemple un Fonds africain de développement (FAD) où l’essentiel de la décision finale appartient à ceux qui financent ce fonds. Les Etats membres du Groupe de la BAD sont composés d’Etats africains dits « les régionaux », et d’Etats non-africains, dits « les non-régionaux », tous des étrangers. La réalité est que dès lors que les Etats africains sont défaillants et qu’ils ne peuvent rembourser une dette accumulée, il y a comme une marchandisation des parts des actions africaines qui sont vendues à des non-régionaux pour éponger une partie de la dette… Mais à force de faire cela, une partie des décisions du FAD relèvent de la minorité de blocage des actionnaires non régionaux. Prenons un exemple simple : une infrastructure ou un projet qui n’arrangent pas les pays occidentaux et soumis au Groupe de la BAD notamment sur le fonds FAD peut être bloqués… Il y a donc un problème de souveraineté.

  • JM. Est-ce que la Banque africaine de développement aide réellement les pays africains ? Il existe pourtant une dette de pays africains auprès de la BAD ?

 YEA. On ne peut pas dire que le Groupe de la Banque africaine de développement n’aide pas les Etats africains. Les pays africains empruntent à la BAD. Il s’agit que très rarement d’aide. La réalité, ce sont des crédits qui souvent proviennent des pays occidentaux. Il faudrait pouvoir créer un fonds monétaire africain avec le soutien des pays du BRICS afin de bénéficier de financement plus adapté au sud global. Ce fonds ne devrait plus avoir comme objectif explicite ou implicite le contrôle des richesses africaines, notamment par le processus de la privatisation lorsque les Etats sont très endettés.

En effet, la BAD prend souvent des garanties auprès de l’Etat africain. Face à un défaut de paiement, les négociations, souvent sans transparence, finissent par faire perdre des pans entiers de la souveraineté économique à un Etat africain. Le Groupe de la BAD apparaît parfois comme une courroie de transmission des institutions de Bretton-Woods. Il faudra penser à séparer totalement les activités destinées au secteur privé africain des activités destinées au secteur public et aux Etats. En effet, les garanties prises sur les Etats africains contribuent souvent à l’augmentation de la dette.

  1. JM. Existe-t-il des dettes de pays africains auprès de la BAD ?

YEA. Bien sûr. La BAD est une institution qui se rémunère sur la dette des pays africains comme n’importe quelle institution financière de développement.  D’ailleurs, les huit pays africains les plus endettés envers la BAD en 2022[6] sur la base du ratio dette/produit intérieur brut (PIB) exprimé en pourcentage sont : 1/ Cap Vert : 109,7 % ; 2/ Mozambique : 92,4 % ; 3/ République du Congo : 91 % ; 4/ Sierra Leone : 82,6 % ; 5/ Ghana : 81, 5 % ; 6/ Maurice : 78, 9 % ; 7/ Malawi : 77,4 % ; 8/ Angola : 77,1% ;

Le ratio dette/PIB est une mesure de la capacité d’un pays à rembourser sa dette. Un ratio élevé signifie que le pays dépense au-dessus de ses possibilités et qu’il pourrait avoir des difficultés à rembourser, si cela perdure.

En 2023, selon le FMI, les 10 pays africains qui ont la dette extérieure la plus élevée (en milliards de dollars des Etats-Unis, $EU) envers le FMI[7] sont différents de ceux de la BAD.  Il s’agit de : 1/ Egypte ; 2/ Angola ; 3/ Afrique du Sud ; 4/ Côte d’Ivoire ; 5/ Kenya ; 6/ Nigeria ; 7/ Ghana ; 8/ Maroc ; 9/ Congo Démocratique ; et 10/ Tunisie. La Tanzanie est sortie de la liste des pays africains très endettés dès le 6 décembre 2023 et confirme sa position au 16 avril 2024 avec une dette envers le FMI de 739,9 million $EU, suite à une saine et transparente gouvernance de ses comptes publics.

La situation au mois d’avril 2024[8] permet de constater que des pays comme le Kenya et le Ghana ont vu leur situation s’empirer avec des difficultés à trouver un accord de rééchelonnement. La tendance actuelle consistant aux créanciers privés « d’acheter » dans le cadre de privatisation, des dettes publiques sous des arrangements de trocs ou de compensations par des droits de propriétés des espaces, mines ou capacités productives africaines pose problème[9].

Je rappelle que le Président du Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD), le Nigérian Dr. Akinwumi A. Adesina, a rappelé que « la dette extérieure totale de l’Afrique était estimée à 1,1 trillion de dollars américains ($EU) en 2022 et à 1,13 trillion $EU en 2023[10]. Les affectations de cette dette sont multiples, notamment les conséquences de la pandémie de Covid-19, les rentrées fiscales des Etats africains, l’augmentation des coûts de l’énergie et des prix alimentaires principalement liés à la guerre entre la Russie d’une part, et l’Ukraine et l’OTAN d’autre part sur le sol ukrainien, et bien sûr les conséquences du changement climatique et les coûts d’adaptation à ce changement. Plus de 16 pays africains ont vu leur service de la dette extérieure passer en 2022 de 21,2 milliards de $EU à 22,3 milliards de $EU en 2023.

Il faut savoir qu’il existe un système occidental de coordination de la dette, avec le Club de Paris pour les créanciers de la dette publique ou souveraine, et le Club de Londres pour les créanciers de la dette privé ou la dette commerciale. La Chine n’est pas membre de ce mécanisme.

Mais la réalité est que la séparation n’est parfois pas évidente. La conversion de dette publique en dette privée se fait régulièrement et ce sont les institutions multilatérales qui servent souvent de « garants » en posant des conditionnalités draconiennes. C’est aussi que souvent la dette, publique ou privée, est convertie par les créanciers en de véritables « annexions » des richesses africaines. Il s’agit pour certains créanciers d’offrir un mécanisme pour solder des dettes, sauf que cela met en danger la souveraineté des Etats africains.

  1. Au vu du traitement de la dette des pays africains que nous venons de passer en revue. estimez-vous qu’il faille que ces pays remboursent un jour ces dettes envers la France ou envers l’Occident?

YEA. La question devrait être posé différemment. Bien sûr qu’il faut rembourser une dette. Mais il faut distinguer entre d’une part, la dette inique ou la dette odieuse à ne pas rembourser, et d’autre part, la dette effective, celle qui est créatrice de valeurs ajoutées et de richesses partagées. La question est de savoir quoi rembourser tout en ne mettant pas en danger la gestion de son pays. Oui, il faut rembourser la dette effective et refuser de rembourser la dette inique et illégale. Le principe est valable pour tous créanciers.

En définitive, il devient urgent d’assurer une dette soutenable pour permettre aux Etats africains de conserver leur marge économique décisionnelle. Pour cela, rien ne vaut la mobilisation des ressources nationales dans les pays africains. A ce titre, de nombreux Etats africains négligent la dette intérieure, autrement dit, ne donnent pas de priorité à leurs propres ressortissants. Que signifie le non-remboursement ou la prolongation des délais de remboursement pour une entreprise locale par exemple ? Souvent une faillite, une déstructuration du tissu industriel et des pertes d’emplois. Mais personne ne semble s’en soucier. Les délais de remboursement de la dette intérieure et les coûts des résolutions des affaires commerciales pendantes en justice, doivent être réduits au maximum.

Aussi, la réponse à votre question est que la dette effective permette de créer de la valeur et des richesses au profit des Peuples africains, avec l’augmentation des populations sortant de la pauvreté et intégrant la classe moyenne comme critères de progrès. D’autres critères peuvent être utilisés, notamment le bien-être sanitaire, les infrastructures, le coût faible de l’énergie, etc.

  1. JM. La dette souveraine des pays africains est-elle soutenable ? Pouvez-vous dire quelques mots sur des pays africains en difficulté ?

YEA. Actuellement non. Elle ne sera pas soutenable si l’on continue à l’exprimer en devises. Il faut que la dette soit payée en monnaie locale.

Malgré le niveau extrêmement élevé des dettes souveraines des pays comme les Etats-Unis ou la France, « aucune nation européenne ne figure sur la liste des pays qui risquent d’être ou sont déjà en situation de surendettement[11] ». Un véritable paradoxe car de fait de leur  « capacité d’influence », autrement dit, la loi du plus fort, ces pays obtiennent des notations « positives » de la part des agences notations occidentales. Ce sont ces notations qui permettent en retour d’emprunter sur le marché financier international à des taux d’intérêts extrêmement bas, ce qui n’est pas le cas des pays africains endettés. Selon l’économiste Hippolyte Fofack, chef et directeur de la recherche d’Afreximbank, « les pays africains empruntent en moyenne à des taux près de quatre fois supérieurs à ceux des États-Unis et près de huit fois supérieurs à ceux de l’Allemagne ».

L’injustice consiste dans le fait que les pays riches occidentaux font croire à une viabilité de leur dette alors qu’il n’en est rien. Ces pays apparaissent comme des resquilleurs en accédant aux marchés internationaux des capitaux dans leurs monnaies nationales et à des taux d’intérêts favorables alors que leurs économies sont structurellement en déficit. Autrement dit en comparaison avec les pays africains endettés, c’est comme si les pays occidentaux endettés disposaient entre 4 et 8 fois l’équivalent en termes de budget pour la gestion de leur pays. Oui, ces pays vivent au-dessus de leurs moyens, au même titre que de nombreux pays africains surendettés.

Il est possible de revenir à une dette soutenable dès lors que les dettes iniques et illégales sont exclues.

YEA. Le cas du Zimbabwe est encore plus dramatique, au point où les échanges se font en dollar américain, même si l’Etat vient d’introduire une monnaie adossée à l’or, sans une véritable préparation. La Banque centrale zimbabwéenne a déclaré que les nouveaux billets étaient encore en cours d’impression et qu’ils ne seraient disponibles qu’à compter du 30 avril 2024[12].

En effet, la monnaie dite  « Zimbabwe Gold (ZiG)» (L’« or du Zimbabwe) est officiellement entrée en circulation au début avril 2024 en remplacement du dollar zimbabwéen dont la valeur s’est effondrée en 2023, faisant passer l’inflation rampante en une hyperinflation non maîtrisée.

La monnaie locale a perdu près de 100 % de sa valeur par rapport au dollar américain au cours de 2023. Conséquence d’une gestion macroéconomique opaque avec une corruption et un système d’impunité qui gangrène toute l’économie, entrainant des inégalités et une pauvreté structurelle pour un pays qui regorge de ressources importantes. La gestion macroéconomique des militaires pose problème, ce d’autant que la vérité des urnes et la démocratie ne sont pas au rendez-vous.

  1. JM. Votre mot de fin. L’avenir des pays africains est-il morose face au poids de la dette souveraine ?

YEA. Certainement pas. L’avenir des pays africains dépend du Peuple africain qui doit prendre conscience qu’il ne faut plus accepter des dirigeants corrompus et travaillant pour des intérêts étrangers ou des intérêts claniques. Les pays qui auront pris conscience de l’importance de la souveraineté territoriale, monétaire et donc économique seront aussi les pays africains qui auront un avenir tourné vers la prospérité partagée retrouvée. Quoiqu’il faille se méfier des déstabilisations occidentales et les velléités de recolonisation sous toutes ses formes, y compris par des mercenaires appelés des terroristes.

La solution passe d’abord par un sursaut de souveraineté pour un nombre plus important de dirigeants africains. Ensuite, il faut accepter que la compétence au sommet de l’Etat soit primordiale, car la corruption et l’impunité amputent les richesses africaines et servent d’abord des intérêts étrangers. La nouvelle vague de prise de conscience risque d’identifier les dirigeants qui trahissent les peuples africains. Ces derniers devront pacifiquement, si possible, opter pour leur remplacement comme au Sénégal.

Mais, il n’y a rien de durable sans le respect des droits humains et des libertés fondamentales. Aussi, l’avenir de l’Afrique, malgré les déstabilisations et le terrorisme importé, passera par la vérité des urnes et la vérité des comptes publics avec un personnel éthique et défendant les intérêts du peuple africain. En cela, la voie vers le panafricanisme disruptif sera ouverte. Il ne s’agira plus de l’unité africaine au sens de Kwame Nkrumah, mais de l’interdépendance africaine. On sera passé de la dépendance à l’interdépendance africaine, si la sécurité territoriale est au rendez-vous. Ce n’est qu’à cette condition que la dette cumulée de l’Afrique envers l’Occident ne sera plus une servitude mais pourra servir de levier à un retour de la souveraineté et du bien-être des populations.  YEA.


[1] World Bank (2023). World Debt Statistics 2023. In World Bank : Washington D. C. Accessed 14 April 2024. Retrieved from https://openknowledge.worldbank.org/server/api/core/bitstreams/83f7aadd-dc5a-406b-98d4-9624e93993e5/content

[2] Cabana, A. (2024). « Dette en Afrique : Voici le classement des pays les plus endettés auprès de la France ». In www.laplasturgie.fr. 8 avril 2024. Accédé le 15 avril 2024. Voir https://www.laplasturgie.fr/dette-en-afrique-voici-le-classement-des-pays-les-plus-endettes-aupres-de-la-france/

[3] Ziane, Y. (2024).  « La France cumule 3.000 milliards de dettes, et voici pourquoi c’est grave ». In Slate.fr. 5 avril 2024.  Accédé le 15 avril 2024. Voir https://www.slate.fr/story/266404/dette-france-augmente-probleme-risques-deficit-depenses-pubiques-notation-image-reputation

[4] Romain, M. (2024). « Visualisez l’évolution de la dette et du déficit français depuis 1980. Le déficit public s’est établi à 5,5 % en 2023, tandis que la dette de la France a dépassé les 100 % du produit intérieur brut pour la troisième année d’affilée ». In www.lemonde.fr/. 26 mars 2024. Accédé le 15 avril 2024.  Voir https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/03/26/visualisez-l-evolution-de-la-dette-et-du-deficit-francais-depuis-1980_6224326_4355770.html

[5] Cabana, A. (2024).  Op. Cit.

[6] Benson, E. A. (2022). “20 countries with the highest debt-to-GDP ratio in Africa”. In africa.businessinsider.com. 21  March 2022. Accessed 15 April 2024. Retrieved from https://africa.businessinsider.com/local/markets/20-countries-with-the-highest-debt-to-gdp-ratio-in-africa/8qdmrsq

[7] IMF (2023). “IMF Releases List of Top Ten African Countries with the Highest Debts”. In www.digest.tz/imf. 6  December 2023. Accessed 15 April 2024. Retrieved from https://www.digest.tz/imf-releases-list-of-top-ten-african-countries-with-the-highest-debts/

[8] IMF (2024). “Total IMF Credit Outstanding Movement From April 01, 2024 to April 16, 2024”. In www.imf.org. 1-16 April 2024. Accessed 17 April 2024. Retrieved from https://www.imf.org/external/np/fin/tad/balmov2.aspx?type=TOTAL

[9] Amaïzo, Y. E. (2024). « France et Afrique : l’échange inégal ». In www.afrocentricity.info. 17 avril 2024. Accédé le 17 avril 2024. Voir https://afrocentricity.info/2024/04/15/france-et-afrique-lechange-inegal/8121/

[10] AfDB (202). “Evolution of Debt Landscape over the past 10 Years in Africa – Keynote Speech by Dr. Akinwumi A. Adesina President, African Development Bank Group Delivered at the Paris Club”. In www.afdb.org. 20 June 2023. Accessed 17 April 2024. Retrieved from https://www.afdb.org/en/news-and-events/speeches/evolution-debt-landscape-over-past-10-years-africa-keynote-speech-dr-akinwumi-adesina-president-african-development-bank-group-delivered-paris-club-june-20-2023-62308

[11] Fofack, H. (2024). « La finance mondiale doit traiter équitablement l’Afrique ». In www.magazinedelafrique.com. 4 avril 2024. Accédé le 15 avril 2024. Voir https://magazinedelafrique.com/opinion/la-finance-mondiale-doit-traiter-equitablement-lafrique/

[12] Le Monde avec AFP (2024). « Au Zimbabwe, début chaotique pour le ZiG, nouvelle monnaie officielle ». In www.lemonde.fr/afrique. 10 avril 2024. Accédé le 18 avril 2024. Voir https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/04/10/au-zimbabwe-debut-chaotique-pour-le-zig-nouvelle-monnaie-officielle_6227002_3212.html

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