La plantation d’hévéas de Dizangue fut concédée en 1925 à Henri Chamaulte, qui devint administrateur de la SAFA. L’extension de la plantation et le développement de ses activités justifia la construction en 1935, de l’usine de traitement du latex et de production de caoutchouc. Une dizaine de quartiers avaient été construits de part et d’autre, des 11000 hectares que couvrait la plantation. Habitaient dans des taudis exigus, plus de 30 000 ouvriers agricoles qui pliaient l’échine pour la prospérité de la France. Les célibataires vivaient dans un réduit de 9m2.  Les familles se partageaient 18m2, le tout dans une promiscuité indescriptible, quel que soit le nombre d’individus.
Dans son article intitulé « Caoutchouc de DIZANGUE : De la SAFA à la S.A.F.A.CAM ou 100 ans de rapine française au Cameroun ! » Le Dr Daniel Yagnye Tom, Président de l’Alliance Patriotique relevait un des aspects hideux qui polluent les relations séculaires entre la France et le Cameroun, caractérisées par l’exploitation, le pillage, la spoliation du second par le premier.
Nous avons choisi de mettre l’accent sur le caractère inhumain que subissaient les travailleurs indigènes de cette époque. Il faut dire au regard des témoignages, que Dizangue était une forteresse protégée par la milice de Chamaulte où l’entrée était libre,  et la sortie bannie. Pour l’écrivain Léopold Moumé-Etia, Cameroun : Les années ardentes, Feni XX réédition numérique,  1990, la simple évocation du nom d’Henri Chamaulte terrorisait  les populations de Dizangué. Pour illustration, afin de divertir ses amis, il ordonna de jeter des travailleurs aux crocodiles.
 Dans l’ouvrage deThomas DELTOMBE, Manuel DOMERGUE et Jacob TATSITSA, Kamerun : Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971, La Découverte,  2019, il est dit : « En réalité, les plantations de Dizangue étaient en elles-mêmes une immense prison faite de baraquements, ceinturée par une solide clôture et patrouillée en permanence par des gardes armés. Lesquels n’hésitaient pas à enfermer les forçats dans une geôle privée et à bastonner jusqu’au sang les travailleurs les plus récalcitrants. Ni les conditions de vie ni la mort, fréquente dans cet enfer, ne semblent pourtant déranger les hommes de Dieu de la région, « les prêtres et les pasteurs se contentant de dire la messe à 4 heures du matin pour se rendre à l’apéritif chez l’omnipotent Chamaulte à 10 heures».
Le sieur Henri Chamaulte usait et abusait de méthodes de tortures pour « discipliner » les récalcitrants. Dans son autobiographie, l’ancien syndicaliste Gaston Donnat, qui vécut au Cameroun dans les années 1940,  racontait  comment des villageois étaient désignés par les chefs traditionnels, sur ordre des administrateurs coloniaux, pour être déportés vers les plantations, corde aux cous et encadrés par des miliciens. Installés dans des baraquements, retenus prisonniers par des clôtures, et toujours surveillés par des gardes armés, nombre d’entre eux ne sortirent jamais des plantations. Gaston Donnat, Afin que nul n’oublie. L’itinéraire d’un anti colonialiste : Algérie, Cameroun, Afrique, L’Harmattan, Paris, 1986.
Une légende attribuant à Chamaulte le don d’ubiquité, dissuadait  tous ceux qui projetaient de fuir les conditions inhumaines de vie et de travail dans cette plantation.
Pour Mintoogue Joseph Yves dans sa thèse de Master : Henri Chamaulte, le directeur de la SAFA, semble bien avoir longtemps régné en véritable tyran omnipotent : « il traitait ses nègres à coups de trique et de bottes […]. Régnant comme un patriarche bourru sur un domaine immense, interpellant fonctionnaires et Haut-Commissaire à coups de gueule, il avait jadis été le roi du Cameroun». Jusqu’en 1946, les ouvriers de la SAFA n’avaient droit à aucun jour de repos et travaillaient tous les 365 jours de l’année. C’est à la suite de « grèves historiques » organisées par les travailleurs, en août 1946, qu’ils avaient obtenu de pouvoir se reposer le dimanche. pantheonsorbonne.fr/fileadmin/Centre_doc_ufr11/Mintoogue-Joseph-Yves_EA.pdf  (wikipedia – Henri Chamaulte)
Telle était la situation en 1940 à Dizangué quand Philippe Leclerc de Hautecloque, émissaire du Général De Gaulle vint négocier auprès de Chamaulte.
En effet, dès les premiers mois de la guerre, l’Allemagne nazie envahissait la France, obligeant le Maréchal Pétain, chef des armées françaises, à signer le 17 juin 1940, une armistice qu’il avait négociée avec l’ennemi. Le 18 juin 1940, le Général De Gaulle qui dans ces entrefaites avait traversé la Manche, pour se réfugier à Londres où il essayait sans succès d’organiser la résistance, demandait aux français de ne pas se déclarer vaincus,  la guerre n’étant pas finie. En comptant sur son vaste empire africain et sur la réaction de ses alliés, la France pouvait gagner des batailles et inverser l’issue de la guerre. Pour bénéficier du soutien des alliés, il fallait à De Gaulle un territoire et des hommes qu’il n’avait pas à ce moment.
Leclerc avait donc été mis en mission pour essayer de trouver sur la côte Ouest africaine un territoire et des hommes pour que La France Libre soit une réalité.
Après des tentatives infructueuses le long de la côte,  c’est au Cameroun qu’il sera reçu. Contre la promesse d’indépendance de leur pays, les camerounais vont s’engager aux côtés des français pour La France Libre.
Fort de cette assurance, Leclerc pouvait déclarer le 27 août 1940, l’existence effective de La France libre à partir du territoire libre du Cameroun.
L’essentiel de l’effort de guerre des camerounais était produit par les plantations de la SAFA à Dizangue.
–  50000 combattants ont été embarqués au port de Douala dont plus de 30000 camerounais. Les camions de la SAFA furent réquisitionnés pour le transport et l’acheminement des recrues au port de Douala ;
– l’effort des ouvriers de la SAFA fut requis pour travailler 12 heures par jour en vue de doubler la production du caoutchouc qui était désormais destiné à la fabrication des pneus devant chausser les chars et les camions alliés.
– une contribution financière au titre de l’effort de guerre était imposée aux camerounais, sans considération de sexe. Elle a généré beaucoup d’argent.
– des milliers de ceux qui n’ont pas pu être enrôlés ont été reversés de force dans les plantations des colons français, notamment à la SAFA et dans les plantations de café du Moungo.  En effet, Georges Chaffard, dans Les carnets secrets de la décolonisation, T.II, Paris, Calman-Lévy, 1967,  affirme avoir des témoignages recueillis dans la contrée font état de ce qu’Henri Chamaulte aurait longtemps appliqué des châtiments et des mutilations corporelles – parfois de sa propre main – aux ouvriers, allant quelquefois jusqu’à l’homicide (entretien avec Jacques Bikindeg, ancien ouvrier de la SAFA et ancien maquisard, Ngambe, le 29 novembre 2007).
Enfin, pour couper 11000 hectares de forêt vierge, peut-on imaginer le nombre d’arbres abattus, la quantité d’essences précieuses coupées et exportées en grumes,  les familles allogènes déguerpies, des villageois spoliés de leurs plantations dont la création et  l’exploitation avaient été sous l’encadrement des allemands ? Les récalcitrants furent tués par la milice de Chamaulte, sans autre forme de procès. Spoliés de leurs terres, les Ndonga se réfugièrent dans les îlots éparpillés dans le lac Ossa.
 Cette région proche de Douala a de tout temps été une réserve des pachydermes. Combien ont été abattus pour leur ivoire ? Et leurs défenses exportées.
Henri Chamaulte, ce sinistre « négrier » décède en  décembre 1957 au Cameroun. Il  est inhumé à Dizangue.


Théophile BONG.

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