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Cameroun: Massacre de Ntumbaw et Ngarbuh dans le Donga-Mantung (Nord-Ouest).ATTENTION, UN DOMMAGE COLLATÉRAL N’EXONÈRE PAS DE TOUTE RESPONSABILITÉ !

Massacre de Ntumbaw et Ngarbuh dans le Donga-Mantung (Nord-Ouest)

 ATTENTION, UN DOMMAGE COLLATÉRAL N’EXONÈRE PAS DE TOUTE RESPONSABILITÉ !

L’armée camerounaise, dans un communiqué aux termes sibyllins datant du 17 février 2020, reconnait du bout des lèvres sa responsabilité, même si elle la minimise, dans le massacre des populations civiles à Ntumbaw et Ngarbuh dans le Donga-Mantung (Nord-Ouest) au Nord Ouest du Cameroun.

Elle reconnait le décès de 5 victimes (au lieu de 27 selon d’autres sources) dans un incendie qu’elle qualifie insidieusement de «simple dommage collatéral» dans l’idée de s’exonérer de toute responsabilité suite à l’accusation de crime de guerre ou crime contre l’humanité qui revient systématiquement à l’annonce de cette tragédie qui vient s’ajouter à d’autres similaires depuis le début de ce conflit.

En parlant de « dommage collatéral », l’armée camerounaise reprend en cela une expression inventée par ses homologues américains dans le but de diluer toute responsabilité dans le massacre des populations qui surviennent fréquemment lors des multiples opérations armées qu’elles mènent depuis le Viêt Nam dans les années 70 jusqu’à la dernière guerre d’Irak encore en cours.

En effet, cette expression a été utilisée pour la première fois durant la guerre du Viêt Nam par les Forces armées des États-Unis pour désigner les tirs amis ou les destructions des installations civiles et ses victimes. Un dommage collatéral en particulier est un tir touchant autre chose que sa cible.

L’expression a connu son apogée durant les bombardements de l’OTAN sur la Serbie en 1999 pendant la guerre du Kosovo (encore appelé « Opération Allied Force ») et son dévoiement par le porte-parole de l’armée US, largement repris et vulgarisé par les médias Main Stream. Depuis lors, il est usité toutes les opérations militaires américaines, à l’instar de de celle d’Irak, d’Afghanistan et même récemment de Syrie.

Il n’est donc pas anodin que les communicateurs des Forces armées camerounaises essayent de reprendre à leur compte l’expression de dommage collatéral, cherchant ainsi frénétiquement à se dédouaner de leur responsabilité quant au massacre de civils dans la mesure qu’en principe, un «dommage collatéral» n’est pas un crime de guerre. En effet. toucher accidentellement les civils pendant une opération militaire n’est pas considéré comme un crime de guerre. Cependant, viser délibérément des civils est un crime de guerre et, mieux, viser un ennemi que l’on sait à proximité de civils comme se justifie maladroitement l’armée camerounaise peut bien être un crime de guerre. A fortiori et à toutes fins utiles, il y a lieu de rappeler qu’il est possible également qu’un crime de guerre soit maquillé en dommage collatéral par ses auteurs.

Sans doute, les autorités camerounaises essayeront-elles de se débiner en relevant la distinction entre guerre civile et conflit international ? Sans doute la distinction mérite-t-elle d’être soulevée, mais elle semble inopérante à nos yeux.

En effet,  il  est sans équivoque que le Droit international humanitaire (DIH) est d’application dès le premier coup de feu entre deux belligérants internationaux et que le rubicon est franchi dès le premier recours à la force entre les forces armées de deux États voire dans le cas d’une occupation étrangère ne rencontrant aucune résistance armée. Le premier clash déclenche de ce seul fait l’application de tout un éventail de dispositions détaillées de DIH (les 4 Conventions de Genève, le Protocole additionnel I et une longue liste de traités instaurant différentes limites dans les moyens et méthode de guerre. Les États qui ne sont pas parties à ces instruments restant liés par le DIH coutumier applicable).

 Dans les conflits non internationaux (conflits internes) par contre, la situation n’est de loin pas aussi claire. Le DIH n’est d’application que lorsque la situation intérieure a dépassé le stade de simples troubles et tensions internes pour atteindre celui de conflit armé soumis au DIH.

 La question est alors de savoir où se trouve la ligne rouge et surtout qui en décide. Il va de soi que l’État, en particulier un État filou aux dirigeants condescendants comme celui du Cameroun, n’admettra qu’à contrecœur qu’il a perdu le monopole de l’utilisation de la force, ou qu’un groupe fondamentalement opposé aux intérêts du Gouvernement a droit au statut découlant du fait qu’il est reconnu comme un belligérant armé.

 Pour compliquer encore les choses, il existe, au sein du DIH relatif aux conflits armés non internationaux, différents seuils d’application des deux instruments principaux, l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel II de 1977.

 L’article 3, pourtant véritable pierre angulaire du DIH est reconnu par le droit coutumier international comme le minimum absolu de traitement humanitaire applicable durant tout conflit armé, quelle que soit sa qualification juridique[1] et le DIH s’applique « en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international » surgissant sur le territoire d’un État partie aux Conventions de Genève ».

L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève énonce en quoi consiste un minimum de traitement humain :

« En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes :

  1. Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, (…), seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.

À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :

  1. les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices
  2. les prises d’otages ;
  3. les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants;
  4. les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés.»

 Malheureusement, cet art.3 ne définit pas la limite à partir de laquelle le « conflit armé ne présentant pas un caractère international » existe. Néanmoins, la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie (TPIY)  a posé, dans la décision Tadi, la définition du conflit armé qui fait le plus autorité aujourd’hui :

« … un conflit armé existe chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d’un État. Le droit international humanitaire s’applique dès l’ouverture de ces conflits armés et s’étend au-delà de la cessation des hostilités jusqu’à la conclusion générale de la paix; ou, dans le cas de conflits internes, jusqu’à ce qu’un règlement pacifique soit atteint. Jusqu’alors, le droit international humanitaire continue de s’appliquer sur l’ensemble du territoire des États belligérants ou, dans le cas de conflits internes, sur l’ensemble du territoire sous le contrôle d’une Partie, que des combats effectifs s’y déroulent ou non».

 Le terme « prolongé » évoque à la fois intensité et durée de la violence, deux dimensions évidentes du conflit qui agite le NoSo depuis 2017. En outre, comme le mentionne la Chambre d’appel du TPY, les groupes armés en question doivent présenter un certain niveau d’organisation. La Commission interaméricaine des droits de l’Homme a retenu, dans sa décision La Tablada, que trente heures seulement d’hostilités intenses et organisées pouvaient être suffisantes pour invoquer l’application des normes du e DIH. Le NoSo en est à bientôt 3 années de guerre avec son lot quotidien de morts, de personnes déplacées et de villages incendiés ou rasés.

 Le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), ratifiée par le Cameroun le 16 mars 1984 quant à lui, développe et complète les protections fondamentales prévues par l’article 3 commun de la Convention. En plus, il innove en énonçant certaines dispositions conventionnelles régissant la conduite des hostilités. Et le seuil juridique ici est différent et plus élevé. Les dispositions du Protocole II s’appliquent uniquement aux conflits armés non internationaux qui se déroulent sur le territoire d’un État partie au Protocole, entre les forces armées de celui-ci et un groupe organisé non étatique. Certes ce groupe doit en outre se trouver «sous la conduite d’un commandement responsable» et exercer «sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il[lui] permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer ce Protocole».

L’une des caractéristiques du conflit en cours au NoSo est que, même une personne observant de manière neutre et indépendante la situation aura du mal à déterminer si un groupe rebelle exerce le genre et le degré de contrôle requis pour entraîner l’application du Protocole. Pire, ni l’armée ni les dirigeants civils camerounais ne sont normalement disposés à admettre qu’ils ont perdu le contrôle d’une partie considérable de leur territoire souverain, quelle que soit la situation réelle sur le terrain. Par ailleurs, les notions de commandement responsable et de capacité d’appliquer le Protocole sont toutes deux subjectives.

 En résumé, l’applicabilité de l’article 3 commun ou du Protocole additionnel II est incontestable dans le cas du conflit actuel du NoSo. Les belligérants, quel que soit leur camp, se doivent d’adapter leur stratégie et leur tactique aux exigences du DIH dont le but ultime est de protéger les victimes civiles entre autres. Il est donc hors de question que les droits de ces dernières soient rognés par une définition volontairement imprécise, tortueuse ou biaisée du conflit armé, interprétée par des autorités étatiques jusqu’alors enclines à nier l’existence sinon la gravité d’un tel conflit.

 Massacre de Ntumbaw et Ngarbuh dans le Donga-Mantung (Nord-Ouest)

 L’ETAT DU CAMEROUN ET SON ARMÉE DOIVENT FAIRE ATTENTION À LA CLASSIFICATION JURIDIQUE ET À LA DISTINCTION ENTRE JUS AD BELLUM ET JUS IN BELLO

L’un des principes fondamentaux du droit international est celui de la séparation entre l’ensemble de dispositions juridiques qui régit le droit des États de recourir à la force les uns contre les autres (jus ad bellum, découlant de la Charte des Nations Unies), et celui qui protège les victimes et fixe des limites dans les moyens et les méthodes de guerre (jus in bello, issu pour sa part des Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels). L’armée camerounaise ne doit pas confondre ces deux ensembles car, les considérations politiques visant à déterminer qui a violé le droit (logiquement, au moins une des parties) ne doivent avoir aucun effet sur la protection des victimes de la guerre. Comme l’établit clairement le préambule du Protocole additionnel I, «les dispositions des Conventions de Genève et du présent Protocole doivent être pleinement appliquées en toutes circonstances à toutes les personnes protégées par ces instruments, sans aucune distinction défavorable fondée sur la nature ou l’origine du conflit armé ou sur les causes soutenues par les Parties au conflit, ou attribuées à celles-ci.»

[1] CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/États-Unis d’Amérique

Bertrand Roger JIOGUE

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