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ou voici pourquoi chez les colonisés l’agriculture est une affaire d’agronomes alors que chez les autres, c’est une affaire d’économistes et de mathématiciens.

Il y a quelques mois, des membres du collectif des Nouveaux industriels Africains (Rinvindaf) issus de la Pougala Academy m’ont interpelé en chœurs m’écrivant tout une phrase : « Prof, il y a un « ii » qui propose de collaborer avec vous ».

« ii », c’est un terme que nous utilisons depuis plusieurs années, au début de chaque formation Rinvindaf, pour signifier qu’à cet instant de votre lecture, c’est-à-dire, avant de vous asseoir en février 2023 pour suivre notre formation, vous êtes un « ii », c’est-à-dire, un « Inconsciemment Incompétent ».

Il y a des choses que ce soit en économie ou en industrie, que si ce n’est pas moi qui vous les dis là aujourd’hui, personne ne le fera, parce que ce n’est pas dans l’intérêt de la France ou du Royaume Uni de nous fournir des instruments pour mettre en question leur présumée puissance et supériorité.

L’école coloniale est une école au rabais qui a formé des gens « Inconsciemment Incompétents », quelque soit le degré de leurs diplômes.

Ils sont des parfaits lettrés, mais des gens incompétents pour les problèmes qui regardent l’Afrique, et pire, ils ne sont même pas au courant du fait qu’ils ne peuvent rien faire par rapport à ces problèmes.

A bien y regarder, on constate tout simplement qu’ils n’ont pas été formés pour cela, c’est-à-dire, pour résoudre les problèmes.

Pire, ils n’ont pas été éduqués, instruits pour mettre en question les modalités de fonctionnement d’un système conçu pour créer un rapport de force dans lequel l’Africain serait de façon perpétuelle un soumis, un simple exécutant et jamais celui qui peut prendre des initiatives pour mettre fin à son état d’esclave et fier de l’être, de le rester.

Pour cette leçon introductive, pour que vous compreniez bien la lourde tache qui vous attend, comme les nouveaux faiseurs de l’histoire africaine de demain, lorsque vous serez de retour dans votre pays, je vais vous prendre l’exemple de l’Inde, pour vous expliquer combien, nos politiciens et la quasi-totalité de nos intellectuels ne sont même pas à côté de la solution de nos problèmes, mais ils semblent vivre sur une autre planète.

Et parce qu’ils ont été programmés pour rester perpétuellement Hors-Sujet et en bonne foi, c’est à vous de devenir désormais la première mouture du début d’un vrai état intelligent en Afrique, qui pense les problèmes avant d’en chercher les solutions.

Contrairement aux intellectuels indiens, les premiers intellectuels africains qui sont allés étudier en Europe n’ont pas compris qu’ils n’y allaient pas pour eux-mêmes, mais pour toute une Nation qui les attendait pour sortir de la soumission et de la privation totale de liberté.

Ils ont pensé à eux-mêmes, à leur carrière personnelle, à leur vie privée, sentimentale. Ils ont épousé les européennes et à partir de ce moment-là, ils sont devenus l’ombre d’eux-mêmes, contraints d’arrondir les angles à chaque phrase qu’ils prononçaient, pour ne pas choquer la mère de leurs enfants, pour ne pas heurter l’humeur de la Nation européenne pourtant prédatrice de leurs conjointes.

Les voilà, embarqués tous pour célébrer la fierté Noire appelée par certains « Négritude » et par d’autres « Nos ancêtres les Pharaons ».

Tout était fait pour ne pas affronter les sujets qui fâchent, ceux du colonialisme et de ses crimes et surtout de ses conséquences néfastes à venir sur différentes générations d’africains.

On a même entendu des intellectuels africains dire qu’ils n’ont pas besoin des réparations des torts de la colonisation, ce qui n’est pas le cas des intellectuels indiens et au premier rang de ceux-ci, le penseur et politiciens indien, Shashi Tharoor né le 9 pars 1956 à Londres dont nous parlerons plus loin dans cette leçon.

VOICI COMMENT LES INTELLECTUELS INDIENS ONT RE-INVENTE LA SOCIÉTÉ INDIENNE POST-COLONISATION

Contrairement à l’Afrique, où la Diaspora est dans un rôle contemplatif de l’Occident et passe le plus de leur temps à brandir leurs diplômes ou leurs postes de professeurs dans une telle prestigieuse université aux Etats-Unis, au Royaume Uni ou en France, les intellectuels de la diaspora indienne ont été les précurseurs déterminants pour construire une autre Inde post coloniale véritablement décolonisée.

Pour y arriver, ils ont posé comme préalable à toute action politique et économique, la décolonisation mentale, linguistique, spirituelle et économique de leur pays.

Le premier penseur indien de la Diaspora, qui a posé le problème dans cette direction, était un économiste, et s’appellait Dadabhai Naoroji, né le 4 septembre 1825 à Bombay en Inde britannique et mort le 30 juin 1917 à Bombay.

C’est le premier indien à enseigner dans une université à Londres en 1856.

Il développe la théorie de la Ponction Coloniale.

Qu’est-ce que c’est que la Ponction Coloniale ?

Dadabhai Naoroji accuse le Royaume Uni de procéder par plusieurs étapes pour installer une sorte de racisme scientifique et empêcher ainsi les indiens à maîtriser les vrais rouages du capitalisme prédateur qu’ils sont obligés de subir tous les jours.

Les Anglais donnent l’impression aux peuples colonisés de les civiliser, de les sortir de l’ignorance, de leur apporter la connaissance, de faire leur bien.

Au contraire, selon Dadabhai Naoroji, ils les enfoncent plutôt mais avec habilité et hypocrisie, les mettant sur des fausses routes qui leur font croire qu’on fait leur bien alors qu’en réalité on les dépouille plutôt et avec même leur consentement, puisqu’ils sont dépourvus des connaissances scientifiques pour apprécier et savoir qu’on leur ment et jusqu’à quel point ce mensonge scientifique sert pour les piller.

Par exemple, Dadabhai Naoroji nous explique que les Britanniques enseignent aux indiens qu’il existe l’Agriculture tout court et qu’il suffit de se lancer dans la culture de tout ce qu’on veut qui puissent intéresser le Royaume Uni pour s’en sortir, notamment le coton pour les tissus.

Ils vont même appuyer leurs mensonges en disant qu’il existe une agriculture tropicale qui serait une aubaine pour les pays colonisés et qu’ils devraient s’y appuyer sur cet avantage que les pays colonisateurs ne peuvent pas produire pour des raisons de climat, et ils deviendront eux aussi riches, comme le Royaume Uni.

Alors qu’en réalité, scientifiquement, on a déjà établi qu’il existe 2 genres d’agriculture. Il y a une qui enrichit un pays et une qui l’appauvrit. Et cela les Britanniques le savent, mais pas les Indiens.

Il y ‘ a l’agriculture comestible qui enrichit en partie et l’agriculture non comestible (coton, hévéa) qui appauvrit.

L’agriculture comestible est divisée en deux parties : il y a l’alimentaire (céréale, viande, lait, fromage, fruit et légume) qui enrichit une nation et la non alimentaire (café, cacao) qui l’appauvrit.

Et le colonisé n’a aucune conscience de ces détails, de ces subterfuges. S’il ne sait même pas qu’il existe une telle conclusion, c’est qu’il ne sait pas comment on y est arrivé. Et va se lancer en bonne foi à cultiver ce qu’il croit intéresser son prédateur pour le rendre riche, croit-il naïvement, et même lui donner les moyens de se libérer de lui.

Le colonisateur, plus experts, va ainsi contribuer à enfermer le colonisé dans des cultures non alimentaires, certains que ce qu’on lui conseille de faire ne le rendra jamais riche.

Et comme pour vivre, tout le monde a besoin de manger, voilà que le colonisé pour survivre, a un besoin vital de son bourreau, du colonisateur qui s’impose comme incontournable à son existence. Et même de décider de le faire disparaître. Les manœuvres spéculatives de la Compagnie Britannique des Indes orientales qui avait le monopole du commerce avec l’Inde a fait raréfier les produits alimentaires destinés à l’Inde en plusieurs occasions. Résultats des cours des deux principales famines en Inde : 85 millions de morts dont parle Karl Marx dans son livre Le Capital.

Le colonisateur n’a pas colonisé un pays pour le civiliser. C’est faux. Il l’a fait pour une raison purement mercantiliste. Et plus d’argent il se fait même avec des millions de morts et plus les actionnaires à Londres ou à Paris vont fêter.

La spéculation sur les produits alimentaires contre un colonisé à qui on a fait croire que c’est mieux pour lui de cultiver autre chose que ce qu’il consomme lui-même, est mortelle.

En jouant sur l’arme de la famine, le colonisateur dispose d’un levier extraordinaire pour dicter ses règles de la ponction coloniale qui va consister à exiger du colonisateur, pour s’alimenter, de payer de 10 à 100 fois plus cher que ce qu’on lui a payé pour acheter ce qu’on lui a fait cultiver en lui faisant croire que c’était beaucoup mieux comme cela.

Pour sortir de cette prison, l’intellectuel indien a compris qu’on ne va pas en guerre contre un ennemi qu’on ne connait pas, contre une cible qu’on ignore. Et qu’il fallait forcément passer comme le colonisateur, par des théories scientifiques que l’autre cache et qui garantit son hégémonie. Cela prend le nom « d’indicateur de performance ».

Il existe au monde, deux indicateurs de performance, l’un appelé le taux de couverture et l’autre, l’Avantage Comparatif Révélé (ACR).

Le “taux de couverture” est celui qui doit tirer la sonnette d’alarme, en comparant la valeur de ce qu’on exporte comme produits agricoles et celle de ce qu’on importe pour se nourrir.

Si j’encaisse 100 pour produire du café et du cacao alors que pour me nourrir j’importe pour 90, je peux continuer dans cette voie.

Mais si pour me nourrir je dois importer à 150 ou même seulement 110, c’est la preuve que je dois abandonner le café et le cacao pour me concentrer à cultiver plutôt ce que je mange, car comme minimum, j’éviterai le déficit commercial de 10.

Pour faire plus simple : si j’utilise ma plantation pour cultiver les fleurs que je vends à mon voisin à 100 et que ce voisin utilise son propre champ pour me vendre le manioc qu’il produit à 150, c’est bien la preuve que je dois arrêter de produire des fleurs pour me concentrer moi aussi à produire du manioc qui a une valeur de 150. Comme minimum, je ne dois rien à personne.
Par contre l’Avantage Comparatif Révélé (ACR), est celui que nous utilisons au Rinvindaf depuis 2014, lorsque je distribue certaines semences des produits comme le tournesol ou le safran.

Cet indicateur est beaucoup plus précis et mesure l’efficacité de chaque produit agricole justifiant le choix de le cultiver ou pas. C’est l’indicateur utilisé même entre les régions d’un même pays, pour décider si c’est mieux de produire le vin, le fromage ou la charcuterie.

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, prenons l’exemple d’un pays comme le Cameroun qui exporte le cacao et importe le blé au point même de le subventionner (l’état camerounais paie 400 francs CFA par Kg de blé qui entre au Cameroun). Et subventionne aussi la culture du café et du cacao.

Utilisons l’indice d’Avantage comparatif Révélé (ACR) pour dire oui ou non le gouvernement camerounais fait bien de continuer de subventionner la culture du café et du cacao, tout en subventionnant aussi l’importation du blé.

Pour calculer notre ACR, il faut considérer les donnés homogènes, comme par exemple la productivité à l’hectare et sa valeur.

Dans un hectare, nous camerounais obtenons environs 300 kg de cacao ou de café. Et même si on avait le double, c’est-à-dire qu’on avait 600 kg à l’hectare que nous vendons à 1000 francs le kg, ça ne changerait pas grand-chose.

En conclusion, pour simplifier votre compréhension, disons que, les cultivateurs camerounais encaissent, 300.000 francs CFA par hectare par an dans la vente de leur cacao ou café.

Le blé que nous importons de France est cultivé labas avec une productivité de 14 tonnes à l’hectare après 3 mois. Soyons généreux et considérons même que c’est 14 tonnes à l’hectare après 1 an, puisqu’ils ont l’hiver chez eux qui empêche de faire plusieurs séries de récoltes.

Et ici au Cameroun, le kg est vendu au marché à 600 Francs CFA. Si on y ajoute la subventionne gouvernementale de 400 francs, cela revient exactement comme le café à 1000 francs le kg.

Oui, sauf que le français obtient de nous les 1000 Francs CFA par kg multiplié par les 14.000 kg à l’hectare, puisqu’un hectare en France utilisé pour produire notre blé nous coûte en réalité 14.000 kg multiplié par 1000 francs le kg de blé, c’est-à-dire 14 millions de Francs CFA.

En d’autres mots, le Cameroun utilise un hectare de son territoire pour obtenir 300.000 Francs des français alors que la France utilise un hectare de son territoire pour obtenir 14.000.000 de francs des camerounais.

C’est cela la théorie de la Ponction Coloniale développée en 1856 par le penseur et économiste indien Dadabhai Naoroji.

Il s’agit dans notre exemple d’un rapport de 1 à 46.

C’est-à-dire que là où l’agriculteur camerounais vend le fruit de son travail sur un espace donné et il obtient de la France 1, son collègue français qui exploite la même superficie obtient, du Cameroun 46.

C’est cela la théorie de la Ponction Coloniale de Dadabhai Naoroji, qui aurait dû prendre fin au Cameroun, le 1er Janvier 1960, le jour présumé de notre indépendance.

Vous avez lu les 10% de la leçon.

Les restants 90% sont sur www.pougala.net

CONCLUSION
Maintenant que vous savez tout ça, est-ce que je peux encore vous considérer comme des « ii » (Inconsciemment Incompétents) dans les raisons et comment entrer dans la filière agricole ?

Si nos états sont défaillants parce qu’ils sont incarnés par des intellectuels défaillants, c’est à nous de prendre le relai et de nous outiller pour défendre efficacement notre pays, notre continent.

C’est toute la philosophie qui anime l’Institut d’Etudes Géostratégiques (ieg) que je dirige depuis plus de 30 ans pour passer l’essentiel de mon temps hors d’Afrique pour comprendre comment font les autres pour réussir là où l’Afrique semble patiner et ensuite convertir ce que j’ai vu et appris en leçons que je donne dans ma salle de classe climatisée www.pougala.net et surtout en leçons à Bafang et à Paris au collectif des Nouveaux industriels africains (Rinvindaf) où j’ai le plaisir de vous accueillir dans quelques jours en ce septembre 2023. Inscription sur www.ieg.ovh

Bienvenue au Rinvindaf, pour la construction de cette nouvelle Afrique qui se prépare à rendre la giffle.

Jean-Paul Pougala

Dimanche le 18 Septembre 2022
(Republié le dimanche 10 septembre 2023)

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