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Beya GILLE GACHA: « je peux toucher au niveau de base de tous les métiers pour imaginer ou réaliser certaines pièces »

Par Nathalie Kemadjou

Photo crédit © Cyril Kvasnevski

Monde Economique: Dix ans après votre première exposition à Stockholm (AFRIKANSKA PENSLAR), quel bilan établissez-vous ?

Beya GILLE GACHA: Cela fait étrange d’en parler. En vérité j’expose à Stockholm en 2009 au sortir de mon baccalauréat. Certes ce fut une expérience très instructive qui m’a permis plus tard de ne pas tomber dans certains pièges, mais je ne pense que mon évolution en tant qu’artiste se produit réellement en 2014 lorsque je quitte l’école du Louvre et doit mettre de coté l’histoire de l’art ; ainsi, je me dédie à la création pure.

Et c’est à ce moment que je crée l’association Néfe aujourd’hui en sommeil, mais par laquelle j’ai eu l’occasion d’organiser des expositions ainsi qu’agir et partager avec des artistes de tout âge qui partagent une philosophie de métissage, d’inclusivité. Cette expérience m’a beaucoup appris.

Aujourd’hui je suis heureuse de compter mes pièces dans des collections renommées, notamment celles du Musée du Smithsonian à Washington ou encore de la WorldBank, et d’avoir eu l’honneur de présenter mon travail au Grand Palais à Paris, à la Galleria Nazionale à Rome, ou encore à New York l’année dernière, à Cape Town en février, et plus largement à travers le continent Africain depuis 2017.

Monde Economique: Comment a évolué le perlage associé à la sculpture au travers des époques en Afrique ? Ce métier a t-il connu une évolution cyclique, fluctuante ou alors est-il resté statique ?

J.N.M.02.12.1988 -Beya Gille Gacha

Beya GILLE GACHA: Je ne saurais m’exprimer sur les évolutions des perlages en Afrique, comme des populations d’Afrique du Sud ou encore des Yoruba au Nigéria, car je ne les ai pas étudié. Pour ce qui est du perlage Bamileke, jusqu’il y a peu, il avait gardé sa facture traditionnelle. Avec l’avènement de l’engouement pour les pièces d’esthétiques africaines, certains faux ont commencé à circuler, des faux où les perles sont collées plutôt que tissées, ou tissées grossièrement, sans toute la délicatesse que cette technique demande, sans la précision qui permet aux pièces de perdurer parfois des siècles. Heureusement, il reste des perlières traditionnelles en activité et des associations s’appliquent à préserver cet artisanat, comme la Fondation Jean-Félicien Gacha par exemple. Quant à ma manière de reprendre ce perlage, il faut savoir que je ne le renouvelle que pour l’appliquer à mes pièces et à mon discours artistique ; c’est donc une technique différente, personnelle, hybride, qui ne prend pas corps à l’artisanat, à sa définition et à ses applications.

Monde Economique: Pourriez-vous éclairer le profane et nous dire quels sont les types de métiers connexes auxquels fait appel la réalisation de votre oeuvre ?

Beya GILLE GACHA: La création d’une pièce peut engager un nombre de métier connexe tellement varié … La conception d’une pièce et le nombre de savoirs-faire sollicités afin de lui donner naissance peut parfois être étonnant !

Pour ma part, je peux toucher au niveau de base de tous les métiers pour imaginer ou réaliser certaines pièces : menuiserie, plomberie, ferronnerie, électronique, je fais des recherches et des rencontres aux niveaux scientifique, génétique, biologique, j’use de la médecine, de la philosophie, de la psychologie, de l’anthropologie, de la théologie … En soi, je pense que l’artiste se nourrit dans tout domaine et de ce qui peut sembler chaotique, déraisonné, insensé, il sort une logique, et cette logique est sa pièce.

Pour Orant #5, réalisé au Burkina Faso, j’ai travaillé avec des ferronniers, des bronziers, des tisserands, des couturiers, des herboristes, des jardiniers… mais je commence tout d’abord par travailler avec un modèle qui me donne de son savoir et de sa personne. Comme exemple le plus fort à mes yeux actuellement, il y a ce travail encore en cours avec une jeune hôtesse de l’air, en formation pour devenir pilote,… Lors de ce projet, j’ai été tellement instruite sur les avions, le rôle des vents, l’action des nuages, les systèmes de guidage, que le projet a pris une tournure bien plus grande que la simple sculpture de base.

Dans ma  série des Identités, ce sont de jeunes afrodescendants présentant un parcours d’excellence que je portraitise, ainsi l’un est Pr. en économie, l’autre était étudiante à Cambridge, une autre à Sciences Po., l’une en droit en Angleterre, l’autre en commerce, une autre encore est une self-made woman venue du tourisme, une prochaine curatrice, une autre encore journaliste, … en vous répondant, je me rends compte que mon œuvre fait appel à tous les métiers comme elle fait appel à toutes les personnes, dans la simple réalité que ma démarche instinctive est de placer l’humain avant toute forme de matérialité ou d’étiquette.

Monde Economique: A chacune de vos nouvelles créations, quels sont les nouveaux défis à relever ?

Beya GILLE GACHA: La rencontre, mais c’est un éternel défi. Ce que j’adore est ce moment où l’on arrive à s’émerveiller et reconnaitre une vibration chez quelqu’un que l’on connait tout juste. De cette vibration naît l’idée d’une pièce, d’une histoire, d’une allégorie.

Alors parfois je rencontre une personne qui, à raison très certainement, ne se voit pas du tout comme je la vois. Et c’est un non, et c’est ainsi. Il y a une vraie part de romantisme et de poésie dans ma démarche..

En fait je dirais qu’il n’y a jamais de défis, seulement des rencontres, merveilleuses.

Monde Economique: Quels sont vos projets pour les mois à venir ?

Beya GILLE GACHA: En ce qui concerne les expositions, le grand honneur de cette année pour moi est d’avoir été sélectionnée à DAK’ART, la Biennale de Dakar ! J’y présenterais une nouvelle pièce en lien avec la thématique de cette Biennale soit : I NDAFFA / FORGER / OUT OF THE FIRE.

Je serais également exposée à la fin du mois de mars à Trévise à la Galleria delle Prigioni au sein d’une exposition, WHEN THE GLOBE IS HOME, produite par Imago Mundi et la Fondation Benetton.

Une autre exposition, MAISON DE FORCE organisée par le collectif Eaux Fortes au sein de la galerie Aedaen à Strasbourg fin avril, puis dans le cadre de la Saison Africa 2020 en France, je participerais à une exposition sur le thème de la mer, à l’automne à Brest au CAC Passerelle.

Du côté de la création, je suis dans une longue, interessante, et rebondissante recherche sur le Féminin sacré et l’Erotisme divin, c’est un premier ensemble de productions qui entre dans une pensée plus globale sur l’Amour au sens spirituel et sa place dans notre monde en tensions.

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Beya GILLE GACHA est une artiste franco-camerounaise qui, à travers ses œuvres et réalisations, décrypte les réalités sociales, les enjeux environnementaux et sociétaux. Dès 2013, elle crée l’association Néfe destinée aux jeunes artistes et au sein de laquelle elle organise des expositions.

Très ancrée dans les problématiques inhérentes à l’humanité, l’artiste émergente par son art, met en lumière des sculptures de corps humains, et aussi bien leurs aspérités que leur splendeur, en réadaptant notamment le perlage pour en faire leur peau. Elle est la lauréate du prix Léridon qui lui a été décerné le 10 octobre 2019. (Extraits).

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