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En 2002, une association d’élites dénommée « Cercle des Élites Intérieures du Haut-Nkam » décide de construire un monument en hommage au patriarche Jean Mbouendé, âgé alors d’environ 112 ans au moment des faits et toujours bien lucide.

Les raisons pour l’édification d’un tel monument étaient bien nombreuses et se résumaient aux innombrables œuvres du Patriarche Jean Mbouendé pour le Haut-Nkam, le Cameroun et l’humanité. Il faut rappeler qu’il a sacrifié sa richesse et sa liberté au profit de la justice sociale et a donné une âme à la ville de Bafang en tant que premier maire élu de la commune de plein exercice (avril 1961-juillet 1965).

Les responsables du Cercle des Élites Intérieures du Haut-Nkam l’approchent pour le projet et Jean Mbouendé rejette l’offre dans un premier temps. Un de ses membres, Kamétcha Avit en parle a son fils, qui se trouve être au décès du Patriarche le gardien de sa mémoire, et il réussit à convaincre le Patriarche qui accepte le projet au finish. C’est alors que les autorités administratives sont saisies pour cette fin par le Cercle des Élites Intérieures du Haut-Nkam. En premier, le chef du département, le préfet Eweck Raphael qui épouse aussitôt le projet et demande à cette association d’aller très vite dans l’exécution de cette importance œuvre d’immortalisation, de manière à pouvoir rendre public l’ouvrage du vivant du patriarche. Le Gouverneur de l’Ouest, Noutsa Joseph partage le même sentiment. C’est alors que le préfet du Haut-Nkam signe l’arrêté préfectoral numéro 222/AP/F33/BASC du 16 octobre 2003 portant désignation des membres de la commission chargée du choix d’un site devant abriter la construction d’un monument historique dans la ville de Bafang.

La commission préfectorale est alors composée des personnalités suivantes : le Deuxième Adjoint Préfectoral en est le président, et les autres membres comprennent le Deuxième Adjoint au Maire de la commune urbaine de Bafang, le Représentant du Maire de la Commune Rurale de Bafang, le Délégué  départemental de l’Urbanisme de l’Habitat ou son représentant, le Chef de la Subdivision des routes du Haut-Nkam ou son représentant, et  Monsieur Kametcha Avit, membre du Cercle des Élites Intérieures du Haut-Nkam. Un délai de deux mois leur est accordé pour cette mission.

La commission va travailler et le premier site retenu au lieu-dit Rond-Point Patchi, qui divise les routes allant à Bangangté, Bafoussam dans la Région de l’Ouest à Douala par le Centre-Ville de Bafang, et à Douala par la voie de contournement dans la Région du Littoral. L’autorité municipale en place, le roi des Banka, Sa Majesté Monkam Tientcheu David, représenté dans la commission, y apporte une fin de non-recevoir. C’est alors que le deuxième site est identifié et se trouve être la cour de la poste de Bafang, puis le troisième qui est le jardin de la mairie urbaine de Bafang. Malheureusement, l’autorité municipale ici ne répond pas aussi aux différentes correspondances du Cercle à ce sujet. Le Maire qui était Alphonse Siyam Siwé ne résidait pas sur place et les affaires courantes étaient gérées par son Adjoint, le chef Bafang, Sa Majesté Kamga Ngadjui René.

Entre-temps le maire de la commune Rurale, Sa Majesté Monkam Tientcheu David décide d’entreprendre les travaux relatifs au monument Tienkwemo, du nom de son père, Sa Majesté Tientcheu Michel, l’un des plus puissants chef Banka dont le nom de la mère était Kwemo, sur le site du lieu-dit Rond-Point Patchi. Sa Majesté Monkam Tientcheu David n’a aucun support administratif pour réaliser le monument de Sa Majesté Tienkwemo et veut ainsi manifestement faire obstruction au projet du Cercle des Elites Intérieures du Haut-Nkam. L’association, appuyée par le préfet qui n’était pas d’accord avec cette démarche du maire de la commune Rurale, veut opérer un passage en force. Informé de cette situation qui aurait plutôt créé un climat délétère dans la communauté Banka et auprès des autorités administratives, le patriarche, subtilement, conseille aux membres du Cercle d’abandonner et se déplace pour voir le préfet dans le même sens. Toutefois, lorsque le préfet voulait davantage insister et imposer le veto du chef de terre, le patriarche a joué à l’apaisement en disant qu’il est un homme de paix et que le Seigneur lui a donné la longévité et la chance d’être propriétaire d’un terrain titré bien situé à Banka en face de la Cathédrale Notre Dame, limitrophe avec la voie publique, et qu’il conseille que ce monument soit donc construit à l’entrée de sa concession, sur ses terres, pour mettre ainsi fin aux querelles. À l’occasion, il confiera au préfet qu’il mourra sur son lit. À la suite de cette démarche patriarcale, les protagonistes ont enterré la hache de guerre.

Lors des premières fouilles à l’endroit retenu, les techniciens tombent sur les ossements, prennent peur et informent aussitôt le patriarche qui leur répond que c’est un cadeau du ciel car le monument doit effectivement y être fixé pour remplacer ces ossements de chèvres issus  d’un rite que Sa Majesté  Monkam  Tientcheu David, maire, roi des Banka et opposant au projet, était venu faire chez lui après sa sortie du Laakam en 1984 aux fins de purifier son règne car c’est à ce même endroit que son père, Sa Majesté Tienkwemo, qui faisait obstruction à la furie coloniale, avait été fustigé par  Nitcheu Jean Baptiste, fils héritier du trône, avant d’aller organiser la destruction du patrimoine Jean Mbouendé le 29 mai 1955, sous l’impulsion du pouvoir colonial français. Et après ce malheureux incident, il a été écarté du trône par son père, courroucé, et remplacé par son jeune frère Monkam Tientcheu David.

Le projet du Monument Historique Jean Mbouendé prend ainsi corps et la statue est livrée à Banka et va passer 04 mois avec Jean Mbouendé dans sa case. Le Cercle des Élites Intérieures du Haut-Nkam, de concert avec lui, arrête la date du 07 août 2004 pour l’organisation d’une messe d’action de grâce suivie de la découverte du monument. Le patriarche signe de ses propres mains le 12 juin 2004, 300 billets d’invitation pour cette cérémonie en précisant de maintenir la date préalablement arrêtée même s’il n’est plus de ce monde. L’un des premiers à qui il envoie donner ce billet est bien le roi des Banka, accompagné d’une branche d’arbre de paix et d’un tas de fruit de paix, jujube africain (Ndedam).

Les 06 et 07 juillet 2004, soit un mois avant l’événement, l’association Cercle des Élites Intérieures du Haut-Nkam, qui s’associe au mouvement culturel dénommé « Nzingu », accorde au Patriarche Jean Mbouendé une interview (vidéo) de presque deux heures de temps dans laquelle il livre des informations croustillantes et appelle au respect de sa volonté de maintenir la date prévue pour la découverte du monument. C’était sans le savoir, le chant de cygne de Jean Mbouendé puisqu’il décède le 16 juillet 2004 sur son lit comme il avait toujours souhaité, sans agitation, dans la tranquillité et la sérénité, devenant ainsi l’une des rares personnes ayant reçu de la Providence la grâce d’inviter les gens à ses obsèques, soit 09 jours après cette prestation.

Le 07 août 2004, il a le privilège d’être honoré par des obsèques officielles  décidées par le Chef de l’État. On assiste alors à un triple évènement : la messe d’action de grâce, les obsèques et la découverte du monument, consacrant le passage de la mort à la vie du patriarche dont l’âme reste immortelle. Fait remarquable, le préfet du Haut-Nkam est même entouré lors de la coupure du ruban symbolique par certains qui étaient contre ce monument, dont le roi des Banka, le patriarche ayant réussi ainsi à tolérer, à rassembler, à pardonner et à apaiser tout le monde.

Le 07 janvier 2023, soit 19 ans après cette implantation de la statue, une bavure singulière d’un Caterpillar réussit à heurter le monument.  Son socle est complètement détruit après la violence du choc, mais le patriarche qui a toujours plié sans rompre devant toutes les persécutions subies, va rester débout et suspendu paradoxalement presque dans le vide. Curieusement, le responsable de cet incident est prié de quitter les lieux sans faire un constat comme l’exige la loi en pareille circonstance. C’est après son départ que le gardien de la mémoire du Patriarche est mis au courant. Il entreprend alors une démarche amiable qui plombe sur un mûr d’orgueil. Il passe à la vitesse supérieure en sollicitant une intervention du parquet qui aboutit heureusement à un protocole d’accord pour la réhabilitation de l’ouvrage et le délai de livraison est arrêté en fin mars 2023. La vitesse d’exécution étant lente, on pense à une mauvaise foi de l’incriminé qui ne répond plus aux appels téléphoniques après l’expiration du délai convenu. En surfant sur son téléphone une nuit d’avril 2023, le gardien de la mémoire du Patriarche tombe sur une vidéo laissant voir un miraculeux accidenté sorti par les riverains d’un fleuve et porté au dos. Il ressemble à l’incriminé qui venait de faire une chute de près de 50 mètres avec son engin sur un ravin pour atterrir dans l’eau. Il se fait tard et très tôt le matin, des appels sont faits pour avoir le cœur net sur cet accident. Dès la première sonnerie, lui qui ne prenait plus les coups de fil de vr gardien décroche  Sans attendre la question, il fait savoir qu’il a rendez-vous avec le technicien pour aller continuer les travaux du monument. Lui indiquant qu’il n’était pas appelé par rapport aux travaux de réhabilitation du monument, mais pour savoir si c’est lui qui a fait le grave accident de la veille, il a répondu par l’affirmative tout en indiquant qu’il ne comprenait pas lui-même comment il est encore en vie. Il lui est alors conseillé par le gardien de la mémoire de Jean Mbouendé d’oublier le monument et de s’occuper d’abord de sa santé en sachant qu’il a la protection du Patriarche ayant vécu sur trois siècles, et qui est le père de tout le monde. Après avoir repris ses esprits, le détenteur du Caterpillar est devenu plus coopératif tout en gardant des liens de fraternités plus que soudés avec le fils du Patriarche. Et les travaux prévus pour un mois ont finalement duré 11 mois sans aucune forme de pression.

À la fin des travaux, sans même demander quelques avis, il a avec le même engin procédé au reprofilage de l’accès qui mène dans la case principale de Jean Mbouendé, à la grande satisfaction de la famille. On a ainsi assisté à un mal pour un bien, ce qui montre bien que l’esprit du Patriarche, qui est toujours vivant, a prévalu à travers la patience, la tolérance, et le pardon, mais aussi cet esprit s’est manifesté à travers  l’humilité de l’incriminé, devenu le frère de la famille du Patriarche, valeurs que transmet le combat du nationaliste Jean Mbouendé.

Ce monument situé à Banka, cité lumière qui brille dans son ensemble et qui contraste avec les ténèbres qui entourent le carrefour abritant ce joyau avec les trois lampadaires municipaux en mal de lumière depuis des mois et en attente de réhabilitations. Toutefois, et c’est le plus important, le patriarche reste debout et brille, et sa lumière tel un soleil ardent, illumine ses patriotes et tous ceux qui font le détour pour visiter le monument.

Clément W. Mbouendeu

Gardien de la Mémoire de Jean Mbouendé

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