(Vidéo & Texte)

La négroflagellation a été définie comme la distorsion qui, dans le cadre des responsabilités historiques partagées entre l’Afrique et l’Occident, amène nombre d’Africains et d’hommes noirs, à porter seuls le fardeau de la faute, à s’accuser et à accuser leur race, à perdre confiance en eux-mêmes et en leurs semblables. La négroflagellation a une cause exogène. La négrophagie quant à elle naît des relations entre Africains, elle exprime un type de rapports que l’Africain entretient avec l’Africain. Sa cause est endogène. Le terme de négrophagie pourrait laisser entendre que les Noirs se mangent entre eux. En avoir une telle compréhension, reviendrait à établir un synonymie avec le cannibalisme, ce qui n’est évidemment pas le cas. Si le concept de négrophagie renvoie à l’action de manger, de se manger l’un l’autre ou les uns les autres, il doit cependant être entendu au sens de se combattre les uns les autres, de se nuire mutuellement, de se faire du mal les uns les autres. La négrophagie n’est pas étrangère à notre vision du monde, elle en dérive. Le monde est animé de forces bénéfiques et maléfiques qui interagissent. Elles sont partout : dans l’eau, dans la terre, dans l’air, dans le feu, dans l’arbre, dans le buisson, dans la brousse, dans les villages, dans les campagnes, dans les villes. Elles sont dans la pensée, dans la parole. On peut les diriger, les orienter, on peut s’attirer leurs faveurs, se mettre sous leur protection, les utiliser contre les autres, par des rites, par des rituels, par des cultes, par des incantations. Qui n’a pas porté des gris-gris et des amulettes, qui n’a pas bu des décoctions, qui n’a pas sacrifié quelques gallinacés, quelques caprins, quelques ovins ou bovins, pour se protéger du mal, de l’ennemi, du mauvais œil, de la mauvaise bouche ou de la mauvaise langue ?

À qui n’a-t-on pas déconseillé de parler de ses projets, de peur que les mauvaises pensées, la mauvaise langue ou les manœuvres de l’ennemi (babizé, littéralement les fils du père), ne les sabotent ? N’est-ce pas pour éviter d’être empoisonné que dans les beuveries, celui qui se déplace, vide son verre et le renverse sur la table ? Et, ne nous apprend-on pas dès le plus jeune âge à ne point manger la nourriture qui vient de dehors, de l’ami, du voisin, du parent, afin d’éviter de consommer des poudres maléfiques ?

Qui ne connaît pas au moins une version de ces légendes urbaines dans lesquelles l’Africain comparé aux autres, tient la place du méchant contre son semblable ? Borgne, on lui demande ce qu’il souhaite pour son prochain, il ordonne qu’on lui crève les deux yeux ! Placé dans un gouffre en un lieu sensé être l’enfer, pendant que les autres s’entraident pour en sortir, l’Africain tirent et fait retomber au fond du gouffre ses semblables africains qui étaient sur le point d’en sortir ! Ces légendes urbaines expriment un nivellement du malheur, et une démocratisation du mal. C’est Ould Kirinfil, le traître, tombé en disgrâce sous l’Askia Isak 2, qui alla à Marrakech livrer des renseignements et des secrets militaires au sultan Moulay Mansour qui furent décisifs dans la défaite de l’empire songhay, le 12 mars 1591.

Ce sont les demi-frères de Chaka, avec à leur tête Dingane qui ourdirent un complot contre lui, et l’assassinèrent, le 22 septembre 1828. C’est un sofa (soldat) déserteur qui conduisit le sergent Gouraud à la retraite de Samory Touré, et qui permet son arrestation à Guélémou, le 29 septembre 1898. Que sont Eyadema, Mobutu et Campaoré, pour Olympio, Lumumba et Sankara ? Sait-on enfin le mal que firent la Côte d’Ivoire sous Houphouet et le Gabon sous Bongo père, au Nigeria de Yakubu Gowon à son intégré et à sa souveraineté, lors de la guerre du Biafra (1967-70) ? La negrophagie est cette propension de nombre d’Africains à faire du mal à l’Africain, cette incapacité de s’entendre, de s’unir pour le bien commun. De cela, il n’y a de responsables que nous-mêmes.

Farmo M.

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