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Nos attitudes, nos actes, nos comportements, nos manières de penser, plongent leurs racines dans une culture et une histoire qui les ont engendrés, et qui en livrent l’intelligibilité.Or, l’histoire de l’Afrique Noire, de l’Egypte ancienne jusqu’à la fin du XIXe siècle a été pour l’essentiel une succession de royaumes et d’empires. Toutes les strates de la société africaine: le village, la tribu, la caste, la famille, se sont organisées à l’image de ce régime qui confère le pouvoir à un seul. C’est de là que vient, sans doute, la conception plus monarchique que républicaine que nous avons du pouvoir politique.L’observation des pratiques de notre siècle dévoile la résurgence de l’esprit monarchique dans les démocraties de type occidental implantées dans nos pays. L’élection au suffrage universel du président de la République et des autres représentants du peuple n’empêche point qu’ils se comportent en monarques. Les citoyens se comportent en sujets, et leurs représentants en monarques. Nombre de présidents africains dits démocratiquement élus, ont réglé leur succession, non pas véritablement par la voie des urnes, mais par celle de l’hérédité. Combien ont placé leurs progénitures ou leurs dauphins à la tête de l’État ? Et ne voit-on pas la duplicité du comportement de l’élite politique africaine ? Son discours est républicain quand elle est dans l’opposition, son comportement est monarchique quand elle accède au pouvoir. Faut-il s’en étonner ?«Les réflexes profonds de l’Africain actuel se rattachent davantage à un régime monarchique qu’à un régime républicain. Le riche comme le pauvre, le paysan comme le citadin, rêve davantage d’être un petit ou un grand seigneur plutôt qu’un petit ou un grand bourgeois ».Pour que la République s’érige, pour que la démocratie s’épanouisse, il est indispensable qu’un corps politique cohérent se forme, et que la souveraineté repose au sein de ce corps. On ne peut dire d’un peuple qui croit que l’autorité suprême ne vient pas de son sein, qui, dans sa majorité, n’entend que peu de choses à la Constitution et aux institutions, qu’il détient la souveraineté. À supposer que ce peuple détienne véritablement la souveraineté, il serait absurde de croire qu’il déléguerait ses pouvoirs à des représentants qui œuvre contre ses intérêts.Nos Républiques ne servent pas l’intérêt général, nos peuples ne constituent pas un corps politique cohérent, ignorent qu’en eux repose la souveraineté : notre démocratie est le reflet de cette confusion.La République et la démocratie ne peuvent prospérer là où la duplicité et l’ignorance règnent. Les peuples éclairés par les lumières de l’éducation et de l’instruction ne demeurent pas longtemps sous le joug des potentats.

Dans nos pays, le gouvernant est persuadé qu’il est au-dessus du gouverné. Le gouverné croit qu’i lui doit tout. Le gouvernant dépouille le gouverné de ses biens, il lui accorde cependant quelques largesses. Le gouverné loue sa générosité. Les rôles sont inversés: le gouverné est au service du gouvernant. Le gouvernant est le souverain, le gouverné est son mandataire, quand il n’est pas son sujet.La société est morcelée en autant de principautés qu’il y a de leaders politiques. Ceux qui sont au pouvoir se comportent en tyrans, ceux qui sont dans l’opposition agissent en despotes. Tous croient que les administrés, les électeurs et les partisans leur sont redevables.Au terme d’une âpre ascension au pouvoir, le premier responsable du pays a décrété que le pays – avec ses hommes et ses richesses – est sa propriété. Le second a jeté son dévolu sur un ministère : c’est sa part du butin. Le troisième gère une société publique comme son patrimoine personnel. Les trois considèrent le trésor public comme un grenier dans lequel ils peuvent puiser à volonté et impunément.En attendant de les remplacer, pour accomplir les mêmes forfaitures, les opposants maugréent, tempêtent, vocifèrent, puis se résignent à régner sur leurs partis politiques. Arrive enfin le temps de l’alternance, le monarque qui s’est préparé à mourir sur le trône n’entend pas céder le pouvoir. Le peuple qui serait orphelin sans lui, le plébiscite. Il arrive au soir de sa vie, mais il a pris le soin de changer la Constitution. Il s’éteint, son fils lui succède, légalement : la démocratie de père en fils ou démocratie héréditaire naît sous les tropiques.

La démocratie est ici simulacre ou parodie. Elle a servi sous la colonisation. Elle a été mise à la retraite au cours des premières années de l’indépendance. Elle reprend du service à la fin de la guerre froide.La fin du monde bipolaire rend les dictatures africaines caduques. Désormais, pour entrer dans les bonnes grâces des bailleurs de fonds, pour bénéficier des subsides alimentant les budgets nationaux, les dictatures doivent se muer en démocraties. On crée à la hâte des partis politiques, pour que le parti unique ne soit plus seul bénéficiaire des 99, 99 % des suffrages exprimés. On met en place des constitutions et des institutions en pastichant celles des anciennes métropoles coloniales.Enfin, on organise des élections libres et transparentes au cours desquelles des consciences sont achetées, et des urnes bourrées Des observateurs venus d’outre-mer assistent à la mime, et témoignent de sa réussite. Commence alors le long et fastidieux dépouillement du scrutin. Les candidats défaits se rendent compte qu’ils n’étaient que des figurants. Ils protestent, crient à la fraude et à la tromperie. Peine perdue !Les résultats définitifs sont proclamés, définitivement. Les dictateurs d’hier sont élus sous les couleurs de la démocratie. Les bailleurs de fonds sont satisfaits. La coopération peut se poursuivre de plus belle.

Farmo M.

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