(texte & vidéo)

Par Eugène Ebodé

Dans Anicet ou le panorama, Aragon revisitait la règle des trois unités pour en faire un tremplin vers le désir et l’émerveillement – un horizon à la fois esthétique et politique où l’esprit humain se déploie pour imprimer sa capacité d’ouverture.

À Yaoundé pourtant, où le crime s’apprête à courir les rigoles et à recouvrir de sang les cimes des sept collines, c’est une autre dramaturgie qui s’impose à nous. Là, c’est la voix de Sony Labou Tansi qui résonne, colorée des tonalités funèbres de Lorsa Lopez. Et l’une des Sept solitudes qu’il y déploie – celle où se prépare, dans l’obscurité des consciences, un meurtre froidement prémédité – apparaît aujourd’hui comme une terrible préfiguration de ce qui a été infligé à Anicet Ekane.

Un pays entier, le Cameroun, s’est figé devant le martyre d’Anicet Ekane.

Les cloches du désespoir, même sonnant à pleine gorge, ne suffiraient à dire ni la stupeur ni l’effroi ; elles ne sauraient davantage traduire l’indignation ou la suffocation qui nous enveloppent.

Car c’est bien par la suffocation – lente, méthodique, administrée en conscience – qu’une mort programmée a été imposée à un homme arraché à la lumière. Ainsi se révèle, à ciel ouvert, une logique barbare destinée à frapper quiconque refuse de plier sous une mécanique d’écrasement.
Un peuple privé d’air, d’eau, de souffle ; menacé du croc du boucher ; tenu dans la frayeur permanente ; sommé de se taire : telle est la sombre annonce faite à la nation entière à travers le sort d’Anicet Ekane.

Il a réclamé de l’air. Devant la non-assistance, il a posé un regard serein sur celui qui lui confisquait son oxygène et lui volait son existence.

À toi, cher Anicet, qui ne parcourras plus nos villes, de Douala à Garoua à hauteur d’homme, repose dans le sommeil de celui qui a dressé entre lui et son bourreau la ligne inviolable du sursaut, la force incorruptible de l’âme, celle du peuple lorsqu’il refuse de capituler.
Le bourreau et ses semblables, festoyant dans la nuit comme des vampires, connaissent leur horizon : celui des ombres où la lumière ne s’aventure plus.

À la famille endeuillée, aux compagnons sidérés, aux citoyens blessés dans leur conscience, va notre compassion – celle de tous ceux qui, par la puissance de la pensée, tissent le linceul d’honneur destiné à couvrir le corps d’Anicet Ekane.

Cher combattant irréductible, rejoins le cercle des héros de la nation indivisible.
On t’y attendait, toi le voyant au regard clair, sachant que le désir de redressement collectif passe parfois par des épreuves où l’air se raréfie. Le vent obscur ne sait pas où il va ; mais le peuple, lui, sait te reconnaître. Il salue en toi l’homme-panorama, Anicet – non plus le supplicié, mais le souffleré générateur, celui qui maintient vivant l’émerveillement capable, même dans la nuit, de tenir un continent debout.

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