(texte)
J’ai lu avec grand intérêt l’ouvrage intitulé ” Kamerun-Une guerre cachée aux origines de la françafrique 1948-1971″ de Thomas Deltombe * Manuel Domergue * Jacob Tatsitsa.
Une belle contribution à la mise en lumière de notre histoire que je salue.
Cet ouvrage fait naturellement référence à Jean Mbouende dans les pages 568 et 569 et je tiens à le compléter pour une meilleure compréhension car le maire a livré ses mémoires dans un roman autobiographique “pour la patrie, contre l’arbitraire” dont je suis le rédacteur, les vraies raisons de ses persécutions post-coloniales.
Le texte dit donc ceci de Jean Mbouende :
« ….Derrière le bel ordonnancement du régime Ahidjo, derrière les défilés militaires et les danses folkloriques, derrière les envolées propagandistes sur l’unité nationale, la situation est donc terriblement confuse. Difficile, dans le climat d’intoxication permanente, de suspicion et de délation généralisée qui règne alors, de faire une claire distinction entre la réalité des manipulations et ce qui relève du fantasme, de la propagande ou de la paranoïa. Difficile également de savoir précisément à quel niveau hiérarchique se situent ceux que la rumeur populaire appelle les « pêcheurs en eau trouble ». Le plus haut sommet de l’Etat est-il victime de quelques subordonnées ? Est-il un observateur consentant de la confusion entretenue autour du « terrorisme », de la « rébellion » et de la « subversion » ? Ou est-il lui-même l’organisateur de ce chaos généralisé ou l’on ne sait plus qui est qui, ni qui tue et pourquoi ? Cette atmosphère délétère permet en tout cas au pouvoir d’écraser, quand bon lui semble, n’importe qui. Derrière la légalité de façade, c’est l’arbitraire le plus total qui règne, au gré des humeurs du prince et des complots de couloirs.
Les mésaventures de Jean Mbouende, maire de Bafang (Ouest) en témoignent. Ancien upéciste rallié au régime dès 1960, Mbouende est devenu une éminence locale du parti présidentiel et participe avec application à toute les campagnes d’action psychologique en faveur du pouvoir. C’est à ce titre, pour le remercier de ses bons et loyaux services, que le président Ahidjo, alors en visite dans sa commune, lui rend hommage, le 22 juin 1962: « il y avait parmi les terroristes les gens de bonne foi qui aimaient sincèrement leur pays, recherchaient son vrai bonheur. Ils sont maintenant parmi nous, travaillant coude à coude avec nous et je ne voudrais citer comme exemple que le cas du maire de Bafang- que tout le monde connaît pour sa droiture et son courage » . En remerciement de cette « droiture » et de ce « courage » , Mbouende reçoit le 16 juillet 1965, la médaille de « chevalier d’ordre de la valeur ». Mais voilà que, six mois plus tard, le pouvoir change d’avis sur son compte: il le fait arrêter à son domicile et l’envoie à la BMM de Manengouba en l’accusant de… financer Ouandié!
Le maire de Bafang dément ; on le torture. Puis on l’expédie à la BMM de Yaoundé. C’est là que Jean Fochivé le confronte à un boulanger de Nkongsamba. Ce dernier, accusé de travailler pour l’ALNK en collaboration avec certains milieux protestants du moungo, dément lui aussi la participation du maire de Bafang au financement d’Ouandié. Après quatre mois à la BMM de Yaoundé, Mbouende est transféré à celle de Douala. Désespérément vide, son dossier ne permet pas d’inculper le maire de Bafang dans les formes. Ce qui n’empêche nullement les « forces de l’ordre » , après l’avoir détenu sept mois, de l’envoyer, début 1966, au « centre de rééducation civique » de Mantoum ( près de Foumban). Jamais jugé, encore moins condamné, Mbouendé restera quatre ans et demi dans ce « camp de concentration », avant de subir à nouveau le même genre de traitement à l’occasion de l’affaire Ndongmo-Ouandié…. »
Le texte ci-dessus appelle donc de ma part les clarifications suivantes:
1/ Jean Mbouende sort de sa cachette en mai 1960 après l’indépendance et suite à la loi d’amnistie proclamée par le pouvoir et est reçu par le Président Ahmadou AHIDJO à Yaoundé le1er Juin 1960.
Celui-ci pour mémoire, avait envoyé 300 soldats de la communauté française à Bafang pour ramener les gens en ville ; mais hélas !
Les populations sont restées terrées dans leur cachette et n’attendaient que sa voix pour quitter les buissons.
Le Président lui confie donc cette tâche de pacification du Département du Haut-Nkam qui depuis 1956 était ravagé par une vague d’actes terroristes entretenus par le pouvoir colonial pour diaboliser l’UPC et ses leaders.
Le travail est excellemment fait. Sans violence et usant de son entregent exceptionnel, il réussira là où les armes de la soldatesque ont échoué.
Toujours en 1960, répondant à l’appel de John NGU FONTCHA, il participe à la campagne pour la réunification des deux Cameroun (Occidental et Oriental).
FCFA 700 000(sept cent mille francs Cfa) sont collectés par ses soins dans l’Arrondissement de Bafang(devenu une année plus tard Département du Haut-Nkam) et remis à FONTCHA à cette fin.
Il est élu premier Maire de la Commune de Plein Exercice de Bafang en Avril 1961, dénouement logique d’un parcours conquérant.
Aujourd’hui encore, cette ville lui doit son visage urbanisé. Son ossature routière et le choix des sites de ses principales infrastructures sont l’émanation du génie propre de Jean MBOUENDE.
De ses démêlés avec le Préfet de l’époque, Obam Mfou’o Gérémie, du fait de son refus de compromission à diverses échelles dans la conduite des affaires communales, naît sa mise à l’index comme agitateur et coupable d’actes attentatoires à la sécurité de l’Etat.
C’est sur ce fond de fausses accusations aggravées d’affabulations politico-administratives aussi grossières et mensongères les unes que les autres qu’il a eu à réaliser de 1965 à 1970 son original parcours de combattant dans les geôles et pénitenciers alors les plus cyniques du territoire :BMM (Brigade Mixte Mobile) de Manengouba, Douala, Yaoundé et Centre de Rééducation Civique de Mantoum.
Il a connu, suprême humiliation, le supplice de la balançoire à la BMM de Manengouba qu’il décrit dans son autobiographie avec une précision révoltante :
« la balançoire était un instrument de torture particulièrement redouté. On vous y accrochait nu, pieds et poings liés. Le respect de la pudeur se limitait au slip que vous gardiez.
De part et d’autre de la balançoire, et à distance idoine, deux gendarmes baraqués se renvoyaient violemment le corps flottant du supplicié.
Pris dans le tourbillon de la nasse étoilée que la vitesse du mouvement offrait à sa vue, ce dernier n’avait plus qu’à dire ce que l’on voulait qu’il dise : c’était cynique ».
2/ le premier préfet du Haut-Nkam Obam Mfou’ou Géremie travaille dans un premier temps en franche collaboration avec le Maire mais rapidement, les choses tournent au vinaigre du fait du refus de Jean Mbouende de composer avec lui à la distraction des fonds de la commune.
Son objectif désormais est de l’écraser :
Acte1:
La ville de Bafang reçoit le Chef de l’État, le président Ahidjo en juin 1962.
Le président va recevoir à dîner à la résidence du préfet les autorités de la ville. Le chef de l’État va noter l’absence du maire Jean Mbouende qui n’est pas présent pour défaut de billet d’invitation.
Interpellé, Le préfet ne sait quoi dire et envoie rapidement le maire de la commune rurale Poualeu Victor d’aller appeler Jean Mbouende. Ce dernier oppose une fin de non recevoir à l’offre du préfet et rappelle au maire Poualeu qu’il ne doit pas accepter de se faire passer pour planton du préfet ni son garçon de courses.
Un nouveau banquet est prévu le soir et l’absence du maire risque une fois de plus de se faire remarquer par le sommet de l’État. Pris de panique, le préfet envoie rapidement un billet d’invitation. La politesse étant respectée, Le maire est au rendez-vous et le Chef de l’État envoie le sous-préfet Tchouassi Christophe le rapprocher de lui et l’occasion aidant, le président est mis au parfun des pesanteurs construites par le préfet pour faire ombrage à la gestion optimale de la commune de plein exercice de Bafang.
Acte 2:
Le maire va au début du mois d’avril 1963 informer Yaoundé du non reversement des recette d’impôts et autre taxes dans les caisses de la mairie, ce bloque les travaux.
Le préfet est outré par cette dénonciation et organise la démission collective des conseillers municipaux au motif qu’ils ont un maire non scolarisé.
Il demande ensuite au maire de suivre ses conseillers en jetant aussi l’éponge. Il va lui rétorquer qu’il rend compte seulement au peuple qui l’a élu et que si ses conseillers sont des fuyards, lui il va travailler seul, ce qu’il va faire effectivement durant quatre mois et demi.
Acte 3:
Le 06 juin 1963, le préfet Obam Mfou’o Geremie va instruire le sous-préfet de Kékem de détruire le « pont des singes » qui permettait à Jean Mbouende de rallier ses plantations ainsi que d’autres planteurs au motif que ça servait de passerelle aux terroristes.
Jean Mbouende va faire le déplacement de Yaoundé pour informer le sommet de l’Etat des tracasseries dont sa commune fait l’objet et obtient les assurances que l’ouvrage sera réhabilité.

Acte 4:
Le préfet va écrire au maire pour lui demander de libérer le logement administratif qu’il occupait à la demande du chef de l’Etat, le temps pour lui de réhabiliter sa concession qui avait subi la furie des flammes le 29 mai 1955 sous les ordres du pouvoir colonial.Yaoundé intercède pour stopper le préfet.
Le 24 juin 1963, le secrétaire d’Etat à l’intérieur chargé des affaires communales va descendre à Bafang pour toucher du doigts les réalités.
Il réunit le préfet, le maire et tous les conseillers municipaux. Deux d’entre eux vont prendre la parole pour dire qu’ils n’ont aucun problème avec le maire et que le préfet a envoyé nuitamment la lettre de démission avec la contrainte de signer. Ce qu’ils ont fait pour se protéger . Il s’agit des conseillers Nankam Celestin et Komassi Martin.
Le ministre a dit avoir tout compris et à instruit le préfet d’organiser un conseil de réconciliation, ce qu’il a fait.
Deux semaines après le départ du ministre et plus précisément le 10 juillet 1963, le préfet est affecté à Douala comme secrétaire général à l’inspection fédérale d’administration. Mais avant de partir, il doit rétablir le pont des singes qu’il a fait vandaliser. C’est ce qu’il a fait.
Son remplaçant était Kooungou Edima Ferdinand avec qui la collaboration était plus fluide.
Le préfet Obam débouté avec une « promotion » frisant le ridicule, va retrouver son frère Mfou’ou Nvondo, commissaire à Douala et c’est pas par hasard que Jean Mbouende conclut dans son récit autobiographique « pour la patrie, contre l’arbitraire » page 122 comme suit:
« Si vous avez pu observer dans cet ultime épisode que mes plus grosses difficultés partirent de Douala, je salue votre perspicacité et je précise pour ma part que la main de monsieur Obam était encore la même qui parachevait l’œuvre de destruction commencée à Bafang. Il faut en effet se souvenir qu’au moment de ces malheurs, Monsieur Obam était secrétaire général d’inspection fédérale à Douala et que le commissaire spécial de Douala était son frère cadet. Dès lors, l’énigme de mon éternel calvaire ne se trouvait-elle pas de toute évidence là dans les quatre lettres du mot Obam »?
Clément W. Mbouendeu
















