(texte)

Dixième roman d’Eugène Ébodé, Zam-zam fait entendre et réentendre dès le seuil la « célèbre négrité de Pouchkine » dans un autoportrait en vers à prendre peut-être plus au pied de la lettre qu’on pourrait croire, « vous me demandez mon portrait », le voici, semble dire le romancier Ébodé, dans ce récit au cœur de Pamanga, « la ville de tous les noceurs », administrée par le Sultan Bokito,

mais prendre garde avant de pénétrer dans cette cité littéraire

entièrement composée en dizains

et d’y rencontrer Onisha, une princesse belle comme toutes les princesses, aimant les arts et idolâtrant les lettres, un écrivain épris de cette dernière, un rival, tout aussi ravi,

et même l’éditeur dudit écrivain amoureux,

prendre garde donc

au mal mystérieux et terrible que l’on nomme ici la mélantalgie,

mélange létal de mélancolie et de nostalgie,

mal qui ronge durement les habitants de la cité et frappe à mort et sans appel quiconque s’abandonne à la tristesse,

tout comme le livre lui-même est un mélange

de fantaisie et de sotie,

de sérieux et de farce,

de fable et d’autofiction,

oui, d’autofiction, dis-je, puisqu’il s’agit bien de tirer le portrait aussi de l’auteur,

une lecture à mener au moins deux fois, parce qu’on rit encore plus la deuxième fois et surtout parce que, ce faisant, à plus grande distance de la mélantalgie, on n’en a que plus de chances de sauver sa vie…

Rire est en effet remède obligatoire, rire de rien et de tout,

même quand on voit s’affronter les plus fortes têtes dans le CCC – Concours Continental des Coriaces –

même quand celle que l’on aime n’a d’yeux que pour un poète mort depuis plusieurs siècles

et même quand le pays brûle !

nécessitant l’intervention de Zam-zam

Exploser de rire comme le Sultan

« devant les suggestions d’Onisha.

Et sa longue liste d’actions à organiser.

La première, avec l’accord de Sa Majesté

Attirerait de bienveillants regards sur Pamanga.

Qui ne serait plus vu comme le trou du cul du monde.

Est-ce vraiment ainsi que l’on perçoit mon Royaume ?

Hélas, à l’époque des réseaux sociaux, il faut parler de soi.

Un sage n’a-t-il pas conseillé de se cacher pour vivre heureux ?

Certes, Sire, mais cela valait pour le temps des cavernes. »

Le rire est donc grinçant

le livre dérangeant,

la langue décapante,

loin, très loin des simplifications, Ébodé souffle le grave et le léger et de surcroît fait souvent mouche, comme lorsque Bokito demande à la princesse si elle sait cuisiner un mari (à l’africaine, bien sûr) :

« Majesté, je n’en ai pas.

C’est donc l’origine du chassement de chez papa ?

C’est un vieux con. Pas papa, mais le prétendant gaga.

Je vois. Les traditions, vous les piétinez ?

Non, Majesté.

Alors, qu’est-ce qui t’a déplu ?

Les navets donnent une soupe, mais les cons, la grimace. »

Qu’on se le dise,

contre l’essentiel des livres – la plupart – qui s’écoulent paisiblement en un flot continu, insipide, lisse et sans anfractuosité, rivière boueuse où l’on se baigne avec lassitude toujours dans la même eau, il en est quelques-uns – rares – qui redonnent foi et espoir, non dans le monde, mais dans la littérature, bien plus solide que lui, quand tout à coup on salue, chapeau bas, une énergie et une gouaille qui rafraîchissent et dissuadent enfin d’évacuer et le bébé et l’eau fangeuse de la fameuse rivière. Merci maestro !

Annie Ferret, 5 juillet 2025

(extraits cités pages 40 puis 36)

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