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600 milliards de dollars de transferts d’argent vers l’Afrique en provenance de sa diaspora entre 2010 et 2020, soit 400 milliards de dollars vers l’Afrique subsaharienne sur cette période, à raison de 45 milliards de dollars de transferts annuels. Ces chiffres astronomiques ont laissé certains observateurs considérer que les envois de la diaspora africaine constituaient une chance pour l’Afrique et son développement. Certaines puissances occidentales sont même allées jusqu’à s’imaginer un moyen de chantage économique aux africains indociles en envisageant la menace de fermer le robinet des transferts d’argent de la diaspora. Mais tout ceci ne relève que du fantasme, une énième escroquerie intellectuelle dans laquelle les africains aux intelligences fébriles s’engouffrent naïvement.

Les envois d’argent de la diaspora en Afrique, en dépit de leurs volumes impressionnants à première vue, sont d’un impact plus que négligeable sur les économies africaines, et penser qu’ils constituent un catalyseur de développement est tout aussi hasardeux. Au-delà des émotions et autres intentions inavouées, il faut se souvenir que les envois d’argent en Afrique en provenance de sa diaspora sont presqu’exclusivement destinés à la consommation, c’est-à-dire orientés vers des biens visant à satisfaire des besoins ponctuels : soins médicaux, frais de scolarité, vivres, mariages, décès etc. Ce sont donc des envois d’argent diffus qui n’ont pas une orientation à l’investissement, principale source de développement. L’augmentation éphémère du pouvoir d’achat des bénéficiaires des transferts de la diaspora entraîne une augmentation de la consommation qui enrichit prioritairement les multinationales occidentales présentes en Afrique, car celles-ci dominent les marchés africains dans tous les secteurs d’activité, l’Afrique étant encore dépendante des importations au détriment des produits locaux, les industries locales étant quasiment inexistantes, ce qui explique nos économies extraverties. En somme, non seulement les volumes d’argent envoyés de l’étranger ne servent pas le développement des pays destinataires, mais ils retournent aux économies des pays d’où l’argent est initialement envoyé, par rapatriement des bénéfices. De plus, la diaspora africaine est plus utile aux économies des pays dans lesquels elle se trouve qu’aux pays africains. En effet, le rapport entre ce que les pays africains reçoivent de leurs diasporas et ce que ces diasporas investissent dans leurs pays de résidence est sans appel. La Banque Mondiale fait état de ce que l’épargne annuelle de la diaspora africaine qui s’élève à environ 55 milliards de dollars est largement supérieure aux envois de fonds annuels vers le continent, et est principalement investie hors d’Afrique. Là encore, en plus de s’offrir une main d’œuvre africaine bon marché, les pays d’accueil de notre diaspora bénéficient prioritairement de l’épargne de nos frères et sœurs. Sans parler des immigrés africains sans papiers qui travaillent au noir et qui sont hypocritement dénoncés comme un fléau par les politiques et médias occidentaux, mais sans lesquels, les économies occidentales et particulièrement française s’effondreraient. Dans cette démarche de démystification, il est incontournable de noter que les autres grands gagnants de ces transferts de fonds que la propagande occidentale présente comme salutaire pour les africains, ce sont les entreprises de transferts d’argent. Elles sont toutes occidentales, plus précisément américaines, et font des milliards de dollars de bénéfices annuels, les trois plus grosses, et par ordre, étant Western Union, MoneyGram et Ria. Et pour cause, l’Afrique comme toujours, se fait saigner plus que les autres régions du monde, avec des coûts de transferts injustement supérieurs à la moyenne mondiale, soit 8% contre 6%. Au-delà des éléments évoqués, l’impact qu’on prête aux envois d’argent de la diaspora africaine peuvent encore être relativisés lorsqu’on considère le beurre facile que se font les ambassades occidentales avec des frais de visas qui leurs garantissent de confortables matelas financiers de plusieurs centaines de millions d’euros chaque année pour plus de 60% de visas refusés aux africains, mais aussi les cautions bancaires pour voyages, les frais de scolarité des africains qui renflouent les caisses des structures académiques des pays d’accueil, ou encore la participation quotidienne active de la diaspora qui contribue de façon significative à la dynamique économique de ces pays. Tant que le mythe de l’occident sera vendu et gobé par les africains, les économies occidentales pourront encore longtemps compter sur des lendemains qui chantent.

L’idée d’une contribution au développement économique de l’Afrique grâce aux transferts d’argent de la diaspora est clairement une vue de l’esprit, alimentée par ceux qui ont intérêt à présenter l’Afrique comme dépendante de l’occident. Les principaux pays bénéficiaires des envois de la diaspora africaine sont, par ordre d’importance, le Nigéria, le Ghana et le Kenya, ce qui témoigne d’une diaspora bien plus dynamique que la plupart des pays d’Afrique subsaharienne francophone. Dans ces pays, il existe des politiques d’incitation à l’investissement par la canalisation des transferts diasporiques. C’est le cas du Gouvernement ghanéen qui a annoncé en 2019 la création du “Diasporan Savings and Investment” Account, une structure financière qui sera supervisée par la Banque du Ghana et le Ministère des Finances, et qui collectera les fonds en provenance de la diaspora ghanéenne pour financer en priorité les infrastructures, l’agriculture et le tourisme. Voilà un modèle d’orientation des fonds qui peut servir d’incitateur à une diaspora qui s’investira davantage, de façon canalisée, dans des projets économiques identifiés. Et en cela, nos gouvernements ont un rôle essentiel à jouer. En dehors de ce type de modèle, le supposé miracle des transferts de fonds de la diaspora africaine restera un mirage.

Par Paul ELLA

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