« LA OU LES CHIENS ABOIENT PAR LA QUEUE »

Le premier roman de Esther Sarah BULLE

(Liana Levi, éditeur)

Si elle était une couleur, elle serait le jaune car elle aime la chaleur et la lumière. Si elle était une chanson, elle serait « Ma Doudou » de Henri Salvador, une chanson qui parle d’exil. Et si elle était un sentiment, elle serait la jubilation car, dit-elle, elle aime beaucoup ça et c’est ce qu’elle reçoit quand elle écrit. Écrivaine et débutante, comme elle se définit, son premier roman s’intitule « Là où les chiens aboient par la queue ». Nous l’avons rencontrée.

Pourquoi ce titre ?

C’est un titre qui intrigue et fait rire beaucoup de personnes, ce qui est normal, c’est un peu le but. En fait, à travers ce roman, je parle de mes origines, expliquant pourquoi, dans les années 60, tant d’Antillais sont venus en métropole, ce qui s’est passé et quelle a été la suite.

Alors, vos origines ?

Mon papa est de la Guadeloupe et ma mère de la frontière franco-belge, dans le 59. Une des raisons de mon livre, c’est de savoir comment on peut se définir quand on est métisse, née en banlieue parisienne, avec un papa venant de 8 000 km de la France.

Et comment on se voit ?!

Je ne posais pas tellement la question, j’étais ce que j’étais, mais c’est tout le temps le regard des autres qui me renvoyait à cette question des origines. Je suis une banlieusarde antillaise de la deuxième génération, née en métropole, une Parisienne dans l’âme, je suis un mélange de plein de choses en fait.

Comment arrivez-vous à l’écriture ?

C’est un goût et une passion que j’ai depuis l’enfance. J’ai toujours aimé écrire.  C’était mon moyen d’évasion, justement, dans cette banlieue sans goût. Une banlieue pourtant agréable à vivre mais où il ne se passait pas grand-chose. Et, finalement, l’écriture, quand on habite au neuvième étage, c’est un moyen d’évasion extrêmement fort. Justement, même si je ne parle pas le créole, j’entendais mon père le parler en appelant tous les dimanches mon grand-père. J’étais très impressionnée par cette langue que je trouvais très belle et très poétique.

Une envie d’écrire qui se concrétise aujourd’hui par votre premier roman au titre original : « Là où les chiens aboient par la queue ». Comment font-ils ?

Là où les chiens aboient par la queue est la traduction littérale d’une expression créole qui désigne un endroit très très reculé, dans la savane, loin, loin, loin, tellement loin de la civilisation que, là-bas, même les chiens ne font pas comme partout ailleurs.

C’est un roman qui a déjà eu le prix Stanislas, prix du meilleur premier roman de la rentrée littéraire !

C’est vraiment très agréable. J’étais très honorée, ravie et étonnée d’avoir ce prix. Je ne m’y attendais pas. Et c’est encore plus plaisant car le jury de ce prix est composé de cinq professionnels et cinq lecteurs grand public qui n’ont rien à voir spécialement avec le métier de l’édition.

Et quand vous n’écrivez pas… ?

Je pense à ce que je peux écrire, j’imagine des façons d’exprimer ce que je ressens sur le moment, ce que m’inspire une personne, un visage, une façade de maison, un animal… Vous savez, c’est toujours en activité dans ma tête, même si je n’écris pas concrètement à ce moment-là.

Et la femme antillaise dans votre roman ?

Elle est au cœur de mon roman, puisque l’héroïne principale s’appelle Antoine ; elle a un nom d’homme, mais c’est une femme forte ; c’est elle qu’on va suivre pendant les soixante ans de sa vie, depuis les années 40 où elle est née au fin fond de la Guadeloupe -là où les chiens aboient par la queue-. Jusqu’aux années 2000, où elle arrive à Paris. On va suivre son trajet. A travers elle, je parle de ces milliers d’Antillais qui ont fait ce trajet des îles à la métropole. Cet exil, je l’appelle exil de l’intérieur, parce que c’est des Français en France, mais qui ne sont plus chez eux. Et ça donne des gens comme moi, ne parlant pas créole, mais ayant des racines là-bas.

Il y a de plus en plus de femmes qui prennent la parole aux Antilles. Nous avons des femmes très fortes depuis très longtemps. Je pense à Suzanne Roussi, épouse de Aimé Césaire, une très grande dame de la littérature. Il y a aussi Maryse Condé, Simone Schwarz-Bart, Euzane Palci, Gisèle Pineau… Je prétends à mon niveau m’élever à cette lignée, c’est un honneur pour moi d’en faire partie.

Et ces a priori sur les femmes métis antillaises dans le style « fais-toi belle, zouke et tais-toi » ?!

Oui, il y a une image comme ça superficielle qu’on a des Antillais. Je le démontre dans mon livre que ces Antilles qui, à première vue, peuvent paraître paradisiaques, touristiques et agréables, ont une réalité sociale très forte, très violente. Je rappelle certains faits historiques qui sont peu connus, comme les évènements de mai 67, qui furent des émeutes violemment réprimées dans le sang. La police avait tiré sur les habitants, ce fut la panique à Pointe-à-Pitre. La police a même tiré sur des adolescents et des gens qui passaient par là et qui n’avaient rien à voir avec les manifestations qu’il y avait à l’époque. C’était sous de Gaulle, et il y a eu des répressions, comme ça, très fortes. Je parle de la censure de Franz Fanon, le célèbre écrivain martiniquais, qui a pris fait et cause pour l’Algérie. Il fut interdit, dans ces années-là, aux Antilles. La France continuait à traiter ses départements d’Outre-Mer comme des colonies, pourtant, c’étaient des départements français depuis 1946. Il y a tout un aspect de l’histoire des îles qu’il faut savoir aller chercher derrière les aspects agréables comme la gastronomie, la musique… Cette réalité sociale antillaise importante est encore d’actualité. La France est un pays riche dans sa diversité. Beaucoup de gens, qui ne sont pas des Antilles, viennent me voir en me disant qu’ils ne connaissaient pas ce pan de l’histoire de France. Comme ce Kabyle ou cette métisse togolaise et bien d’autres personnes nées en métropole qui s’intéressent à ces questions d’exil et de métissage. On peut se faire entendre aujourd’hui. C’est ce que j’essaie de faire.

François Zo’omevele Effa           .

 

 

 

 

 

 

 

 

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