Jean Mbouendé est ce Camerounais non scolarisé, devenu riche dans les années 1930 par la force de son travail et qui a décidé de sacrifier cette richesse au profit de la dignité humaine.
Non seulement il a défendu les planteurs avant l’avènement du mouvement syndical et des partis politiques, mais à aussi lutté contre le régime d’indigénat, les travaux forcés et autres injustices d’où qu’elles venaient.
Ce qui va lui valoir diverses représailles, mais il tiendra bon, avec ténacité.
Le poste administratif colonial français de Bana est transféré à Bafang en 1925. En 1935, Bafang devient chef-lieu de subdivision administrative dans la région bamiléké.
C’était donc une ville à construire. Et pour cela il fallait de la main-d’oeuvre et c’était en plein dans le régime des travaux forcés. On amenait les populations aller transporter les bambous des villages périphériques sur leurs têtes pour parcourir des dizaines de kilomètres sans aucune rémunération, laissant sur place les camions qui auraient pu le faire aisément et rapidement.
Les chefs traditionnels sont ceux qui vendaient leurs vaillantes populations dans ce sale commerce et quand l’un des articles de la vente s’extirpait, le chef vendeur devait lui-même le remplacer à la tâche.
Jean Mbouendé est celui qui dès le début a dit non à cette forme d’esclavagisme.
Ainsi, en 1938, un groupe de chefs de la région bamiléké réquisitionnés pour les travaux forcés sur la ligne de chemin de fer à Nkongsamba, rentrait à pied. Jean Mbouendé qui se baladait avec sa voiture va les croiser et va les porter.
Il va les amener chez lui à Banka et leur faire à manger et à boire.
Il ne va pas manquer d’aller chercher le chef Banka pour venir saluer ses homologues.
Contents, ces chefs vont demander au chef Banka le titre de notabilité de Jean Mbouendé. Le chef va répondre que Jean Mbouendé n’a jamais été intéressé par ces titres malgré son insistance.
Voici la réponse de Jean Mbouendé à la kyrielle des chefs :
« VOUS SORTEZ DES TRAVAUX FORCÉS, CONSÉQUENCES DU HONTEUX COMMERCE.
LES COLONS NE VOUS RESPECTENT PAS À CAUSE DE ÇA. ILS NE M’AMENERONT JAMAIS FAIRE CE GENRE DE CHOSES. TOUT TRAVAIL MÉRITE UN SALAIRE.
JE NE PEUX PAS ACCEPTER UN TITRE DE CEUX QU’ON MÉPRISE À TRAVERS LEUR COMPORTEMENT.
JE MAPPELLE JEAN MBOUENDÉ ET IL Y MANQUE UNE ÉPITHÈTE QUAND JE NE SERAI PLUS. ON M’APPELLERA FEU JEAN MBOUENDÉ ».
Souvenons-nous que ces travaux forcés empêchaient la scolarisation des jeunes et Jean Mbouendé qui n’avait pas été à l’école militait pour une postérité positive. En 1938, après 12 ans de mariage avec Eboutou Marie, il n’avait toujours pas d’enfant en tant que géniteur.
Il était également le seul civil à disposer d’une machine à écrire à Bafang et d’un secrétariat.
Il va donc s’en servir pour écrire une lettre anonyme au Haut-Commissaire Boisson pour dénoncer l’abandon des jeunes par rapport à la scolarité au profit de la politique des travaux forcés.
Cette lettre va attirer l’attention de Boisson qui va immédiatement envisager une mission sur Bafang pour beaucoup plus s’enquérir sur l’identité de l’auteur du pamphlet.
Jean Mbouendé était le seul propriétaire d’une machine à écrire et en plus il avait montré la copie de cette lettre à Fonga Marcel et à Tchokoualeu Michel qui n’ont pas gardé le secret.
Mais l’administration, qui le respectait, a mis un frein à sa politique et les jeunes ont repris le chemin de l’école.
Jean Mbouendé va alors prendre beaucoup d’entre eux en adoption, parmi lesquels, Monkam, Nitcheu Jean Baptiste, prince Banka, Miengué René, Casimir Deumatcha, Djadji Hubert, les enfants du chef Fomopea dont un qui était son homonyme, pour ne citer que ceux-là.
Mais c’est l’histoire de la rencontre avec Monkam qui pourrait susciter une certaine attention.
En effet chaque fois que Jean Mbouendé se baladait en voiture, il voyait un jeune et beau garçon qui vendait les palmistes sans jamais se séparer de sa bila(cache-sexe).
Ayant perçu en ce jeune une fibre intellectuelle, un soir des années 1939, il va l’intercepter en ville et lui demander s’il veut aller à l’école. Il va répondre par l’affirmative.
Jean Mbouendé l’amènera donc voir ses parents à Batcho pour obtenir également leur accord. Ce qui est fait.
Il devient donc l’un de ses premiers fils. La bila et les paniers de palmiste seront remplacés par les culottes, pantalons, cahiers et livres.
Il va finir par devenir docteur. Son fils, Monkam Mbouendé Yves, médecin contemporain dont la fille est aussi docteur est le symbole de cet acte de Jean Mbouendé.
Sur un autre plan, le clergé catholique dont certains vont épouser la politique coloniale ne va pas être du reste contre la neutralisation de Jean Mbouendé . Mais il répondra toujours avec tact aux injustices et provocations, ce qui ne restera pas sans conséquences.
Ainsi, sous la pression de certains évènements, Jean Mbouendé prend en cachette une seconde femme originaire du septentrion en 1939. Son nom Astaboul. Elle est la mère de sa première fille en 1940.
Le chef Bangou, Sinkam Charles, grand ami de Jean Mbouendé, mis au courant de cette bonne nouvelles, va offrir une de ses maisons à Jean Mbouendé à Nkapna-Bangoua pour abriter la mère et l’enfant, le temps d’informer subtilement Eboutou, la première femme. Il va aussi donner une de ses filles en mariage à Jean Mbouendé, Kadji Elisabeth pour agrémenter la sauce.
Elle sera la mère de Mbouendé Marie, homonyme d’Eboutou Marie en 1941.
Mais la lutte du père des enfants contre les abus de la colonisation et de ses suppôts va provoquer l’ire de ceux qui incarnaient cette politique dont beaucoup cachés au sein du clergé catholique.
L’histoire de la voiture du chef Banka et des factures de transport de Jean Mbouendé adressées à l’église catholique vont soutenir cette assertion.
Les raisons de la rupture de son premier mariage.
Les rumeurs couraient pour dire que Jean Mbouendé était déjà polygame avec des enfants.
Celui qui va confirmer cela à sa femme et lui conseiller de quitter le ménage en 1941 est bel et bien, Monseigneur Paul Bouque. Les causes sont multiples :
1/ L’histoire de la voiture tronquée du chef Banka vers la fin des années 1930 dont les détails suivent :
Après l’inauguration de ses villas le 16 décembre 1937 en présence du chef Banka entouré de son peuple, une d’entre elles fut mise en location.
Rénato, un commerçant d’origine espagnole fut un des locataires.
Quelques années plus tard, notamment à l’aube des années 1940, le Chef Banka sa Majesté Tientcheu Michel avait besoin d’une voiture de marque Chevrolet.
Rénato fut saisi pour les formalités d’usage et le contrat de vente fut scellé. Le délai de livraison arrivé à échéance, Rénato vint dire à sa Majesté que cette voiture, dont le principal contributeur à l’achat était Jean Mbouendé, avait chaviré au port de Douala et qu’elle devait être remplacée par une autre de marque Renault.
Déçu, le chef informa Jean Mbouendé qui à sont tour s’enrola de l’affaire. Il proposa à Rénato d’aller avec lui à Douala faire le film de la carcasse de la voiture avant toute discussion.
Une fois à Douala, Rénato n’honora pas l’heure du rendez-vous prévue pour aller au port et prit les devants. L’ayant vainement attendu pendant plusieurs heures, Jean Mbouendé emprunta également à son tour le chemin du port.
Y étant, il trouva Rénato en pleins pourparlers avec ses clients. Poliment, il lui signifia le caractère dédaigneux et méprisant de son attitude et insista pour voir la carcasse, objet du déplacement. Rénato tourna en rond et se résolut tout de même à dire la vérité :
la voiture arrivée en bon état avait suscité la convoitise de Monseigneur Paul Bouque, vicaire épiscopal de Foumban à l’époque et futur évêque de Nkongsamba, qui l’avait rachetée au prix fort.
Jean Mbouendé lui rappela que ce n’était pas un problème, mais qu’il était élégant et impératif de sa part de respecter les clauses du contrat librement signé avec le chef Banka.
Il restera confus pendant un moment mais face à la détermination du nationaliste, il demandera à Jean Mbouendé d’entrer à bord de la limousine pour le retour à Bafang. Arrivé à Nkapa en début d’après midi, Rénato improvisa une visite chez un ami expatrié et pria Jean Mbouendé de l’attendre sur le trottoir, en pleine plantation d’hévéa.
L’attente durera jusqu’à minuit et c’est à travers les phares de la voiture qu’il se rendra compte qu’il arrivait et il avança donc sur la chaussée pour le stopper.
En réalité, Rénato pensait pouvoir le décourager et croyait que la lassitude allait l’amener à capituler, mais il était resté en éveil, avec ténacité. Jean Mbouendé prit donc place à bord de la voiture et attira son attention sur son comportement malencontreux, déshonorant et humiliant.
Il lui posa la question de savoir si une nouvelle loi avait été adoptée au parlement interdisant aux noirs de rendre visite aux blancs. Il n’obtint aucune réponse.
Arrivé à Bafang, Jean Mbouendé ordonna à Rénato de lui remettre les clés de la voiture, puis se rendit immédiatement chez le chef pour lui dire de venir chez lui avec un chauffeur pour récupérer son Chevrolet.
Ce chauffeur s’appelait Pierre Poukin, originaire de Banka formé à la conduite par Emo Pierre sous l’instigation de Jean Mbouendé.
La joie de sa Majesté fut à son comble, lui qui avait perdu tout espoir de voir son rêve se réaliser.
À l’opposé, Monseigneur ne masqua pas sa déception .
Une semaine après la livraison selon les termes du contrat, Jean Mbouendé initia une lettre à Rénato, qui était toujours son locataire, en ces termes :
“Monsieur, après vos errements et incartades à Douala, et plus précisément à Nkapa, je vous ai posé la question de savoir si une nouvelle loi interdit aux noirs de rendre visite aux blancs. Ma question est restée sans réponse jusqu’à ce jour, ce qui tend à accréditer cette thèse. Fort de cela, je vous prie à mon tour de libérer ma maison au plus tard dans un mois faute de quoi vous vous exposerez aux poursuites judiciaires »
Un mois après cette correspondance , RENATO libera les lieux et se réfugia au noviciat à la mission catholique de Banka, aux bons soins de Monseigneur Bouque.
Moins de deux mois après, il mourut à FOUMBOT où il avait une exploitation agricole et une lourde présomption de culpabilité pesa sur son frère et associé au sujet de cette disparition soudaine. Il reste que ce fut là le lourd tribut payé à la malhonnêteté.
Aujourd’hui encore, la carcasse de cette voiture est visible à la chefferie Banka.
2/ Un autre incident allait encore compliquer la situation de Jean Mbouendé vis-à-vis de l’église et de son épouse Eboutou.
Il avait transporté un prêtre de Nkongsamba à Garoua et ils s’étaient mis d’accord sur les frais de transport. L’église ne voulait pas payer et Jean Mbouendé va hausser le ton en arguant que la doctrine n’enseigne pas que l’église ne doit pas s’acquitter de ses dettes.
Il sera payé au franc près mais cela suscitera le courroux de Monseigneur Bouque qui en chaire un dimanche va retirer le siège de Jean Mbouendé en guise d’exclusion et demander aux chrétiens de l’isoler parce qu’il est un mauvais chrétien. Il fera la même démarche auprès de la femme de Jean Mbouendé, Eboutou Marie qui va le suivre et décider de le quitter en 1941.
Jean Mbouendé va se retirer chez lui, serein, arguant de ce que Dieu est partout et n’est ni la propriété de l’église ni celle de l’évêque.
Il faut noter que Jean Mbouendé était le grand financier pour l’achat de la première grande cloche de l’église de Banka qui portait d’ailleurs son nom. Il était aussi grand contributeur à l’église dont la caisse fut lourdement pénalisée en son absence. L’église dut faire marche-arrière en envoyant le frère Mathieu vers Jean Mbouendé pour négocier son retour. Il utilisera le subterfuge du baptême des deux enfants issus des deux autres mariages pour cimenter ce retour.
C’est ainsi que Jean Mbouendé deviendra le premier chrétien catholique à devenir polygame à Bafang.
Ses persécutions vont se poursuivre, mais il ne faillira point.
Il décède le 16 juillet 2004 sans agitation, sur son lit, ayant eu 14 femmes issues presque de toutes les régions du Cameroun.
VIVONS ENSEMBLE !


Clément W. Mbouendeu
Gardien de la mémoire de Jean Mbouendé

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