En revisitant quatre décennies plus tard la conférence mémorable tenue par le Professeur

dans la capitale du Niger, en 1984, j’ai jugé nécessaire de revenir sur les propos véridiques du conférencier sénégalais en raison de leur importance cruciale, non seulement pour l’auditoire du pays hôte, mais aussi et surtout pour l’émancipation, le devenir et l’avenir des Africains en général. Ces vérités dites à Niamey offrent au présent texte son intitulé.Mais en quoi consistent lesdites vérités? Elles portent sur l’être, les manières d’être, d’agir et de penser des colonisés et des anciens colonisés. Elles informent sur nos façons de voir l’Autre, de nous représenter à nous-mêmes, sur les manières de concevoir et de vivre nos relations avec l’ancien maître ; visions, conceptions, comportements, pensées et rapports en grande partie façonnés par lui.Animalisation, ensauvagement, violences physiques et psychologiques, sévices corporels, travaux forcés, humiliation, infériorisation, infantilisation, avilissement et persuasion, abrutissement par l’administration et l’école, telles sont les méthodes utilisées par le conquérant blanc pour asseoir son pouvoir et pour nous maintenir sous sa domination.Depuis nos premières rencontres avec l’Europe, du 15e siècle au 21e siècle, de la traitre négrière au néocolonialisme en passant par l’invasion coloniale, mis au carcan, nous sommes encore pris dans les fers. Pétris, placés dans des moules protéiformes, passés au four, notre cuisson se poursuit encore.Nous sommes jetés corps et âme, esprit et conscience dans le monde hostile crée par le maitre. C’est là que se déroule l’histoire dont nous ne sommes pas les principaux acteurs, c’est que se forme une conscience collective fallacieuse.«Le mal que l’occupant nous a fait n’est pas encore guéri. Voilà le fond du problème. L’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme, et quand on croit s’en être débarrassé, on ne l’a pas encore fait complètement. Souvent, le colonisé ou l’ex-colonisé même, ressemble un peu à cet esclave du 19e siècle qui, libéré, va jusqu’au pas de la porte et puis revient à la maison parce qu’il ne sait plus où aller, depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a acquis des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a appris à penser à travers son maître. C’est un peu ce qui est arrivé aussi à l’intelligentsia africaine dans son ensemble, parce que en dehors de quelques questions, toutes les questions que vous m’avez posées reviennent à une seule: quand est-ce que les Blancs vous reconnaitront-ils, parce que la vérité sonne blanche. C’est cela ! Mais, ce que vous dites est dangereux, parce que si réellement l’égalité intellectuelle est tangible, l’Afrique devrait sur des thèmes controversés, être capable d’accéder à la vérité par sa propre investigation intellectuelle, de maintenir cette vérité jusqu’à ce que l’humanité sache que l’Afrique ne sera pas frustrée, que les idéologues perdront leur temps, parce qu’ils ont rencontré des intelligences égales qui peuvent leur tenir tête sur le plan de la recherche de la vérité, Mais vous êtes persuadés que pour qu’une vérité soit valable et pour objective, il faut qu’elle sonne blanche. Mais ça, c’est un repli de notre âme qui doit disparaître», ainsi parlait Cheikh Anta Diop.De nos jours, nous sommes encore plus enclins à accorder foi aux propos sortis de la bouche d’un Blanc qu’à ceux tenus par un Noir. Et cela dans tous les domaines: notre politique, notre économie, notre culture, nos mœurs, nos coutumes, nos langues, notre histoire. La vérité dite par un Noir passe inaperçue, la même vérité reprise par un Blanc (après que le Noir l’ait dite), devient une révélation. Un mensonge proféré par un Blanc prend la forme d’une parole d’Evangile. À compétences égales, on donnera plus de valeur aux dires du Blanc qu’à ceux du Noir. Les allégations d’un Blanc incompétent supplanteront les déclarations d’un ensemble constitué d’intellectuels africains. Pour prendre le cas du Niger, il est aisé de constater que les assertions du premier blanc venu revêtent plus d’importance aux yeux de nos concitoyens que l’argumentation de Nouhou Arzika, de Moussa Tchangari, de Nassirou Bodo, de Yahaya Issoufou, de Richard Martiin, de Boubé Namaiwa, de Sidi Mohammed, d’Abdoul Mamane, de Sidi Mohammed, de Souleymane Adji, d’Elisabeth Shérif ou de moi-même. C’est que les réflexes de subordination sous-tendus par les complexes d’infériorité nous empêchent d’avoir confiance en nous-mêmes, en même temps qu’ils nous empêchent de voir – à l’exception du blanc – les couleurs multiples de la Vérité.Nous considérons que nos semblables sont si noirs, qu’aucune vérité – parce que blanche – ne peut sortir de leurs bouches.Le Professeur Diop a raison de vouloir la disparition du repli morbide de notre âme. La libération qui a pris son essor au Mali, qui chemine au Burkina Faso, qui se poursuivra à travers le Sahel pour frayer ses voies sur le continent, ne sera pas complète si nous n’effaçons pas ce qui inscrit dans ce repli de notre âme, cette partie dissimulée dans les profondeurs de nôtre conscience, pour écrire un texte nouveau, il s’agit somme toute d’écrire nous-mêmes notre histoire et d’assainir notre conscience collective. La disparition de ce repli de notre âme passe donc par la réécriture de l’histoire et la restauration de la conscience collective. À ce propos le vérités du Professeur Diop ne sont guère différentes des préoccupations du Professeur Ki-Zerbo : « l’interprétation générale de (notre) passé et la confection des manuels d’Histoire de k’Afrique à l’usage des jeunes citoyens africains, doit incomber avant tout à des historiens africains (…). On ne peut vraiment affronter son avenir sans avoir une vision de son propre passé. On ne peut vivre avec la mémoire d’autrui. Or l’histoire est la mémoire collective des peuples. Quand ce travail aura été accompli, le Double d’Hier rencontrera Demain, selon le vœu de Boubou Hama, et l’Africain réconcilié avec lui-même “n’aura pas honte de le couleur noire de sa peau qui est fondamentale”Farmo M.

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